Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/90

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J’ai permis les ardeurs de cette jeune tête,
Et ma main dans sa main, pauvre couple insensé !
Tout le soir du Pardon avec lui j’ai dansé. »
 
À ces mots, il survint une forte rafale.
Le patron, qui dormait tranquille dans la cale,
Accourut. « Nous avons ici quelque damné,
Cria-t-il : au couchant voilà le vent tourné !
Et je vois deux corbeaux, là-bas, sur le rivage,
Qu’un marin n’aime pas à trouver en voyage :
Les âmes de Grallon et de sa fille Ahèz ;
Ils suivent le vent d’ouest, et la mort vient après. »
 
« — Vous l’entendez ! reprit l’enfant à demi morte.
Mon malheur me poursuit, aux autres je l’apporte :
Si ma mère déjà languit dans sa maison,
Elle me doit sa mort ! Ô fille sans raison !..
La vengeance a suivi de près cette soirée,
Où mon âme au démon, mon âme, s’est livrée.
J’étais avec ma sœur, les femmes de Cleunn-Braz,
Et la petite Illi, parente de Daûlaz.
Nous venions du lavoir, nous racontant chacune
Les choses qui couraient alors dans la commune ;
Catellic, arrivée au buisson des trois houx,
Me dit en s’en allant : « Les gens vont bien chez vous. »
« — Oui-da, jeunes et vieux ! » Puis, avec notre linge,
Nous prîmes vers Coat-Lorh. Mais, Seigneur ! que devins-je,
Quand, passant à travers notre petit courtil,
J’aperçus là ma mère à genoux dans le mil,
Jaune comme la paille, et ses deux pauvres lèvres
Plus blanches que mon linge et qui tremblaient les fièvres !
« Hélas ! ma fille Hélène, hélas ! ma fille Anna,