Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/150

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Prenez entre vos mains un des pans du linceul,
Car le malheur de tous est le malheur d’un seul ;
Mais, ô bardes pieux ! vous qui parmi la mousse
Retrouverez un jour la harpe antique et douce,
Et dont le lai savant répétera dans l’air
Les soupirs de la lande et les cris de la mer,
Quand avec ses faubourgs la ville est ivre et folle,
Criez qu’un malheureux en secret se désole ;
Si vos cœurs sont souffrants, vous-mêmes plaignez-vous,
Car le malheur d’un seul est le malheur de tous.
Chantres de mon pays, plaignez celui qui souffre !
Paris roula Le Brâz bien longtemps dans son gouffre ;
Un ami le suivait durant ces jours hideux :
Tous deux, pour en finir, s’étouffèrent tous deux. —

Non, ce n’est pas ainsi que l’on meurt en Bretagne !
La vie a tout son cours ; ou, si le froid vous gagne,
Comme une jeune plante encor loin de juillet,
Celle qui vous nourrit autrefois de son lait
S’assied à votre lit ; pleurant sur son ouvrage,
De la voix cependant elle vous encourage ;
Et lorsqu’enfin le corps reste seul sur le lit,
De ses tremblantes mains elle l’ensevelit ;
La foule, vers le soir, l’emporte et l’accompagne
Jusques au cimetière ouvert dans la campagne. —
Si Le Brâz eût aimé le pré de Ker-Végan,
Les taillis d’alentour, le Scorf et son étang,
Il chanterait encor sur le Ros ; ou sa mère,
Mourant, l’aurait soigné comme, depuis, son frère.
Son corps reposerait dans le bourg de Kéven,
Près du mur de l’église et sous un tertre fin ;
Ses parents y viendraient prier avant la messe,