Aller au contenu

Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les hommes, les enfants et les femmes ensuite
Marchèrent lentement vers la table bénite ;
Et, comme en un festin où beaucoup sont priés
Les mets sont tour à tour servis aux conviés,
Dès qu’un communiant avait reçu l’hostie,
Du ciboire sortait la blanche Eucharistie.
Seul encor je n’eus point ma part de ce repas.
Mais quand, les yeux baissés, et murmurant tout bas,
Les femmes s’avançaient vers la douce victime,
J’essayai de revoir (Seigneur, était-ce un crime ?)
Celle qui, près de moi, dans notre âge innocent,
À votre saint banquet s’assit en rougissant.
Je ne la nomme plus ! Mes yeux avec tristesse
La cherchèrent en vain cette nuit à la messe ;
Dans la paroisse en vain je la cherchai depuis :
Elle a quitté sa ferme et quitté le pays ;
Mais son sort, quel qu’il soit, m’entraînera moi-même :
Je vais, les bras ouverts, suivant celle que j’aime.

Terminons, il le faut, ce récit du passé,
Que je reprends toujours après l’avoir laissé…
Enfin la messe dite, et, vers la troisième heure,
Lorsque les assistants regagnaient leur demeure,
Mon hôte m’appela. « Quelque chose au retour
Nous attend, disait-il, sur la pierre du four. —
Hâtons-nous ! hâtons-nous ! » disait la jeune femme.
Or tant d’émotions fermentaient dans mon âme,
Qu’au détour d’un sentier, soudain quittant Daniel,
Par la lande j’allai tout droit vers Ker-Rohel ;
Et, de ces hauts rochers où brillait la gelée,
À mes pieds regardant le Scorf et sa vallée,
Je laissai de mon cœur sortir un chant d’amour