Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/29

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les déesses ne l’aimeront. La poésie est une de ces déesses qui ne protègent pas l’homme à qui a manqué le sourire de sa mère. Les génies les plus différents ont dû maintes richesses cachées à ces mystérieuses communications des âmes, Victor Hugo comme Lamartine, et Gœthe aussi bien que Novalis. « C’est ma mère, dit Gœthe, qui m’a donné, avec sa gaieté vive et franche, le goût d’écrire, le goût et la joie de l’invention poétique. » Brizeux dut à la sienne la simplicité du cœur et une sensibilité exquise. On se rappelle les pièces touchantes où il a exprimé ce que nous indiquons ici. Quand il compose son poème de Marie, avec quelle grâce, avec quelle piété joyeuse il associe sa mère à l’œuvre qui s’élève sous ses mains :

Si ton doigt y souligne un mot frais, un mot tendre,
De ta bouclie riante, enfant, j’ai dû l’entendre ;
Son miel avec ton lait dans mon âme a coulé ;
Ta bouche, à mon berceau, me l’avait révélé.

Brizeux a souvent chanté sa mère ; et jamais une idée banale ne lui est échappée, jamais non plus une parole ambitieuse n’a défiguré l’expression de sa tendresse. D’autres poètes, en célébrant leurs foyers, ont oublié toute mesure : ils ont glorifié une image abstraite, l’idéal de la mère, un type unique et incomparable, si bien que chacun, en les lisant, se sent blessé et réclame au fond de sa conscience. Rien de pareil chez Brizeux : il n’absorbe pas toutes les mères dans la sienne, il dessine un portrait, il peint une figure distincte, et sait la faire aimer. Ce sentiment de la mesure uni à une sensibilité ardente, ce goût si vif de la réalité chez un artiste si épris de l’idéal, ce sont là des traits à noter dans la physionomie du poète. Ils sont visibles dès le premier jour, et chaque progrès de la vie ne fera que les marquer davantage.

Le jeune Breton avait huit ans quand il fut envoyé à l’école du curé d’Arzannô. Allons-y avec lui. Nous voilà désormais en pleine Bretagne. Lorient est une ville moderne avec ses rues alignées et ses services publics : ce n’est pas là qu’il faut chercher les traditions de la terre des Celtes. À deux lieues de Kemperlé,