Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/35

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profitaient pour prendre les devants ; mais à un certain angle du chemin, dès que nous étions assurés de n’être pas vus, nous prenions notre volée et courions après elles. C’est ainsi que Brizeux a connu Marie… »

Toutes ces choses, qui sont un peu trop simples dans un récit en prose, Brizeux les a dites en vers, avec cet accent de la poésie, avec cet art délicat et savant qui en fait des chefs-d’œuvre. Il nous suffit de recueillir ce témoignage sur la réalité de l’idylle. Le témoin que j’invoque n’est pas un ami complaisant : loin de là, il est exact, précis ; il discute les tableaux du paysagiste ; il croit savoir où la réalité finit et où la poésie commence, « J’ai vu Marie, dit-il ; elle n’était pas précisément jolie, mais il y avait chez elle une grâce singulière. » Le portrait, tracé ici de souvenir et sans prétention lilléraire, me représente bien la fleur de blé noir comme l’a nommée Brizeux ; seulement le condisciple du poète ne craint pas de contester presque tous les détails des idylles où Marie joue un rôle. Ces entretiens de la jeune Bretonne avec l’amoureux de son âge, ces rencontres sur la lande, le tableau si pur de cette journée passée au pont Kerlô, tout cela lui paraît inexact et impossible. L’écolier de l’abbé Lenir a aimé Marie avec son cœur et son imagination d’enfant ; qui pourrait en douter ? Quant à Marie, mon correspondant l’affirme, jamais elle n’a distingué parmi ses camarades celui qu’elle allait rendre poète. J’ose contester à mon tour ces renseignements qui veulent être trop exacts. À coup sur, il importe assez peu que le poète ait décrit des scènes réelles dans le sens vulgaire du mot. Si ces conversations au seuil de l’église, ces paroles échangées en traversant la lande, ces longues heures passées au bord du Scorf, expriment seulement les désirs de son cœur et les rêves de son imagination enivrée, il y a là une réalité idéale qui suffit bien au poète. N’y a-t-il que cela pourtant ? Le camarade de celui qui aimait Marie a-t-il surveillé tous ses pas ? Pendant qu’il jouait avec Albin, Élô, Daniel (il les connaissait bien, il me raconte leur histoire, il me parle de ceux qui sont morts et me dit ce que les vivants sont devenus), pendant qu’il jouait avec eux autour des meules de foin, sait-il ce