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NOTICE

s’ouvre à l’intelligence virile. D’un côté ce sont des sentiments, de l’autre des pensées. Ici c’est l’enfance avec ses émotions charmantes, fugitives ; là, c’est la jeunesse et bientôt la virilité, avec les mâles voluptés de l’esprit. Tel est le sens de ces belles poésies platoniciennes. Remarquez bien que les études de l’artiste marchent de front dans ce livre avec les souvenirs de l’homme. Il aime Marie comme une image pure qui a enchanté son enfance ; il l’aime aussi comme un type de grâce naturelle et rustique, à l’aide duquel il espère introduire dans la poésie française une fraîcheur inconnue. L’art, il l’a dit en poète, est trop orgueilleux de sa beauté artificielle et savante ; Marie, ô brune enfant, qui m’as appris la simplicité, montre-toi telle que je t’ai vue au bord de l’étang du Rorh !

Ne crains pas si tu n’as ni parure ni voile !
Viens sous ta coiffe blanche et ta robe de toile,
Jeune fille du Scorf !.     .     .

C’est l’artiste qui parle ici autant que le jeune Breton enivré de ses souvenirs. Ce sentiment de l’artiste reparait sans cesse chez l’auteur de Marie, et certainement il pensait à son œuvre, lorsque dans cet hymne dédié à M. Ingres, il exprime si bien le doux tourment du beau, le bonheur de sentir une jeune figure s’élever sous nos mains, belle, harmonieuse, toujours plus pure et plus voisine de l’idéal. Oui, la figure s’élève, l’œuvre grandit et se transforme ; l’auteur, qui ne voulait chanter d’abord que des souvenirs enfantins, a trouvé dans ces souvenirs un poème d’un ordre supérieur. Maintes pièces d’un sentiment profond, Jésus, Le Doute, La Chaîne d’or, nous révèlent des aspects nouveaux ; derrière le Breton et l’artiste, j’aperçois le philosophe qui passera sa vie à interroger l’âme humaine. Ce qu’il chante, c’est la beauté morale ; et le cadre où il la place, c’est la Bretagne poétiquement glorifiée. La Bretagne ! Elle nous apparaît dans les derniers chants comme la gardienne de la pureté primitive, comme le roc solide, inébranlable, battu de tous côtés par l’Océan, mais immobile et défendant à jamais les anciennes mœurs. Cette idée éclate avec un mélange extraordinaire de douceur et de passion, de grâce et