Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/65

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en Bretagne se retrouvaient, lui disais-je, dans les vallées du Neckar ; l’Allemagne aussi est la terre des chênes. Le pays de Pelage, d’Abélard, de Descartes, avait-il le droit de maudire ainsi le pays de Leibnilz et de Kant ? Cette aversion que les Schlegel et autres avaient témoignée à la France avait son origine en 1813, c’était le réveil du sentiment national ; en un mot, je le réfutais avec ses principes mêmes, avec ses vers, je lui rappelais la pièce aux Prêtres de Bretagne. Soudain je vis ses yeux s’emplir de larmes ; il prit le papier où était tracée son invective et le déchira en morceaux[1].

On a parlé aussi de son existence trop peu assise et de son médiocre souci des conventions mondaines. Brizeux, si élégant dans sa jeunesse (c’est ainsi que le peint ce condisciple dont je citais plus haut les souvenirs), avait contracté en voyageant des allures toutes nomades. À coup sûr, il tenait plus à l’élégance morale qu’à la correction extérieure. Pendant ses longs séjours au milieu des paysans de la vallée du Scorf, étudiant les mœurs et le langage rustiques, passant les soirs au coin de l’âtre, dans la métairie ou l’auberge du bourg, il y avait pris des habitudes qu’il n’oubliait pas assez en revenant à la ville. Sa vie errante, cette manière de travailler dans les rues, cette parfaite ingénuité qui ne le défie ni des sots ni des pédants, tout cela pouvait lui nuire.

    de former un tout nommé La Table ronde ou La Chute de la Bretagne. Le défaut du poème de l’Arioste, œuvre admirable, c’est que, le lien étant naturellement rompu et le nombre des acteurs immense, l’intérêt ne s’arrête sur personne… mais il ne voulait qu’amuser. Il faut que ce poème intéresse et touche. Mœurs héroïques, sans emphase, mais prises au sérieux. »

  1. Je laisse subsister cette page même après la guerre de 1870. M. Désiré Nisard l’a très bien dit en me recevant à l’Académie française : il faut que nos amicales paroles d’autrefois restent comme un témoignage de la confiance et de la générosité de la France en face de l’hypocrisie haineuse de l’Allemagne. ( Janvier 1874.)