Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/86

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Mêlant nos grands cheveux, serrés l’un contre l’autre,
Nous écoutions ainsi la voix du digne apôtre ;
Lui, sa gaule à la main, passait entre les rangs
Et mettait les rieurs à genoux sur leurs bancs. —
Que celui dont l’enfance ennuyée et stérile
A langui tristement au milieu d’une ville,
Dans une cour obscure, une chambre, où ses yeux
À peine entrevoyaient la verdure et les cieux,
Se raille du passé, le dédaigne et l’offense !
Hélas ! Le malheureux n’a jamais eu d’enfance ;
Il n’a pas grandi libre et joyeux en plein air,
Au murmure des pins, sur le bord de la mer ;
L’odeur de la forêt, et pénétrante et vive,
N’a point trempé ses sens ; et quelque amour naïve,
Demeurée en son cœur à travers l’avenir,
Jamais, vieux et chagrin, ne peut le rajeunir…
Oh ! quand venait Marie, ou lorsque le dimanche,
À vêpres, je voyais briller sa robe blanche,
Et qu’au bas de l’église elle arrivait enfin,
Se cachant à demi sous sa coiffe de lin,
Volontiers j’aurais cru voir la Vierge immortelle,
Ainsi qu’elle appelée, et bonne aussi comme elle !
Savais-je en ce temps-là pourquoi mon cœur l’aimait,
Si ses yeux étaient bleus, si sa voix me charmait,
Ou sa taille élancée, ou sa peau brune et pure ?
Non ! J’aimais une jeune et douce créature,
Et sans chercher comment, sans me rien demander,
L’office se passait à nous bien regarder.
Je lui disais parfois : « Embrassons-nous, Marie ! »
Et je prenais ses mains ; mais vers sa métairie
La sauvage fuyait ; et moi, jeune amoureux,
Je courais sur ses pas au fond du chemin creux ;