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L’Apprentissage


 
Soit que ma pente aussi vers ce côté m’entraîne,
J’ai juré de fermer mon âme à toute haine,
À tout regret cuisant ; ouverte à bien jouir,
De la laisser au jour libre s’épanouir ;
De n’aimer d’ici-bas que les plus douces choses ;
De me nourrir du Beau, comme du suc des roses
L’abeille se nourrit, sans chercher désormais
Quel mal on pourrait faire à qui n’en fit jamais ;
Ainsi, les yeux au ciel ou la tête baissée,
D’aller droit mon chemin en suivant ma pensée,
Tout à mes souvenirs, à mes songes errants,
Qu’au hasard, tour à tour, je quitte et je reprends ;
Tout au devoir, à l’art, à la philosophie ;
Et calme, et solitaire au milieu de la vie,
De traverser les flots de ce monde moqueur,
Sans jamais y mêler ni ma voix ni mon cœur. —
Tel était mon projet ; ce projet fut peu sage.
Lorsque de cette vie on fait l’apprentissage,
Non, ce n’est point assez de s’armer de candeur,
De baisser, en marchant, les yeux avec froideur ;
Comme au creux d’un vallon le ruisseau qui s’écoule,
Il faut sur les deux bords toucher à cette foule,