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PHILOSOPHIE ANCIENNE

il en est empêché par l’irruption soudaine, dans la salle du festin, d’Alcibiade ivre et de ses compagnons (212, C). Mais ce détail prouve au moins qu’Aristophane s’est senti touché.

À toutes ces critiques il faut en ajouter une qui s’applique également aux quatre premiers orateurs. Ils se sont tous engagés dans la discussion sans avoir au préalable, comme la véritable méthode l’exige, donné une définition de l’amour (191, E). Seul Agathon échappe à ce reproche. Mais il en mérite d’autres qui ne lui sont pas épargnés. Il a, comme nous l’avons déjà rappelé, complètement méconnu la véritable nature de l’amour en le considérant comme parfaitement bon et heureux. D’ailleurs les arguments qu’il invoque sont plus spécieux que solides, et son discours est plus remarquable par l’arrangement habile des mots que par l’enchaînement rigoureux des pensées. Il ne reste rien de la brillante fantaisie du poète après la discussion pressante et irrésistible à laquelle Socrate la soumet. Une des erreurs d’Agathon est d’avoir cru que l’objet de l’amour est la beauté ; c’est, en réalité, la génération et la production dans la beauté (206, E).

Il y a plus. Platon ne se contente pas de réfuter un à un les auteurs des cinq premiers discours du Banquet, il se moque d’eux. On peut même dire que ces cinq discours sont des parodies d’auteurs vivants. À la vérité nous avons sur les contemporains de Platon des documents trop incomplets pour qu’il soit possible de justifier pleinement cette hypothèse ; mais nous pouvons réunir les indices en nombre suffisant pour la rendre au moins très plausible. Nous sommes presque toujours tentés de nous représenter l’auteur du Banquet comme un penseur planant très haut dans le domaine des abstractions, ou comme un poète supérieur à toutes les passions humaines, ou comme un austère législateur uniquement préoccupé de pensées graves. Il est tout cela sans doute, mais il est aussi un homme de son temps. Il a été jeune et il a connu les passions de cet âge. Dans le combat acharné qu’il soutint contre ses adversaires nous avons la preuve qu’il était ardent et prompt à la riposte et qu’il rendait coup pour coup et dent pour dent. Il allait même peut-être un peu plus loin, et il est probable que souvent il n’attendit pas les coups et fut lui-même le premier à l’at-