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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

taque. Nous sentons en bien des cas la pointe acérée de son ironie et la cruauté de son persiflage. Peut-on douter, par exemple, de ses intentions ironiques, lorsqu’on lit le Phèdre ? C’est à Lysias qu’il s’en prend. Nous ignorons les causes de sa brouille avec cet écrivain, mais nous voyons très bien qu’il ne le ménage point. C’est très probablement un discours authentique de Lysias que Phèdre lit à Socrate[1], au début du dialogue, et c’est manifestement une parodie que fait Socrate, et même une parodie cruelle et dédaigneuse, lorsque, s’étant voilé la tête, il refait le discours de Lysias tel qu’il aurait dû le faire, tel qu’il n’a pas su le faire de son propre point de vue. La troisième partie du dialogue est une leçon infligée à Lysias en même temps qu’une réfutation complète de tout ce qu’il a dit. L’attitude que prend Socrate à l’égard de Polos dans le Gorgias ne nous laisse aucun doute sur les intentions de l’auteur. Il imite, pour la tourner en dérision, la manière de parler de Polos terminant ses phrases par de grands mots, et avec des assonances selon la rhétorique que lui avait enseignée Gorgias. On ne peut guère douter non plus qu’en prêtant à Kalliclès dans le Gorgias, à Thrasymaque dans le premier livre de la République, des discours violents et brutaux, éloquents d’ailleurs, pleins de vie et de mouvement, Platon ait imité la manière de quelques orateurs de son temps et nous ait donné des portraits d’après nature. L’ironie et la verve comique la plus fine, la plus élégante et la plus discrète, apparaissent encore dans cet admirable début du Protagoras, où le philosophe poète nous montre le sophiste entouré de tant d’honneurs, marchant dans sa gloire, si naïvement pénétré de sa haute importance. À certains égards le Banquet peut être considéré comme une suite du Protagoras, et on peut supposer que les deux dialogues ont été écrits à peu près vers la même époque. Tous les personnages du Banquet figurent déjà dans le Protagoras comme personnages muets, il est vrai ; ils sont les disciples attachés aux grands sophistes. Phèdre nous est connu comme disciple enthousiaste de Lysias ; Pausanias

  1. Voir à ce sujet : Considérations sur l’Eroticos inséré sous le nom de Lysias dans le Phèdre de Platon, par [illisible] Egger (Paris, 1871, p. 22).