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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/108

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PHILOSOPHIE ANCIENNE

afin de prouver que l’amour est délicat. « L’amour marche et se repose sur les choses les plus tendres, car c’est dans les âmes des dieux et des hommes qu’il fait sa demeure. Et encore n’est-ce pas dans toutes les âmes, car il s’éloigne des cœurs durs et ne se repose que dans les cœurs tendres. Or, comme jamais il ne touche du pied ou de tout autre partie de son corps que la partie la plus délicate des êtres les plus délicats, il faut nécessairement qu’il soit d’une délicatesse extrême » (195, D). Tout le discours n’est qu’une suite de jeux de mots et de concetti. Les raisonnements d’Agathon présentent aussi les caractères de la pure sophistique.

Comment croire que Platon ait un seul instant pris au sérieux la preuve donnée par l’orateur pour attribuer à l’amour la vertu qu’on nomme la tempérance. « L’amour n’est pas seulement juste, il est encore de la plus grande tempérance ; car la tempérance consiste à triompher des plaisirs et des passions : or est-il un plaisir au-dessus de l’amour ? Si donc tous les plaisirs et toutes les passions sont au-dessous de l’amour, il les domine, et, s’il les domine, il faut qu’il soit d’une tempérance incomparable » (198, C). Rien n’est plus différent du style ordinaire de Platon, et par suite ne marque plus clairement qu’il s’agit ici d’un pastiche, que la fin du discours où le balancement des phrases, l’abondance et la redondance des images, les assonances et les allitérations forment un si parfait contraste avec le ton sobre et sévère habituel à Platon. « Je terminerai par un hommage poétique : c’est l’amour qui donne la paix aux hommes, le calme à la mer, le silence aux vents, un lit et le sommeil à la douleur. C’est lui qui rapproche les hommes et les empêche d’être étrangers les uns aux autres. Principe et lien de toute société, de toute réunion amicale, il préside aux fêtes, aux chœurs, aux sacrifices. Il remplit de douceur et bannit la rudesse. Il est prodigue de bienveillance et avare de haine. Propice aux bons, admiré des sages, agréable aux dieux, objet des désirs de ceux qui ne le possèdent pas, père du luxe, des délices, de la volupté, des doux charmes, des tendres désirs, des passions, il veille sur les bons et néglige les méchants. Dans nos peines, dans nos craintes, dans nos regrets, dans nos paroles, il est notre conseiller, notre soutien et notre