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SUR LE « BANQUET » DE PLATON

sauveur. Enfin, il est la gloire des dieux et des hommes, le maître le plus beau et le meilleur, et tout mortel doit le suivre et répéter en son honneur les hymnes dont il se sert lui-même pour répandre la douceur parmi les dieux et parmi les hommes » (197, C, sqq.).

On ne contestera pas d’ailleurs que le discours d’Agathon soit un chef-d’œuvre dans son genre, un chef-d’œuvre de mièvrerie, de grâce apprêtée et de style maniéré. Le poète n’est pas dupe de ses artifices, et on le voit sourire quand il dit : « À ce dieu, ô Phèdre, je consacre ce discours que j’ai entremêlé de propos légers et sérieux aussi bien que j’ai pu le faire » (197, E).

Si tout ce tableau est une parodie, on peut dire que Platon l’a caressé avec amour. Au surplus ce n’est pas à Agathon lui-même, mais bien plutôt à l’enseignement qu’il a reçu, que s’adressent les critiques de Socrate, et ici aucun doute n’est possible, c’est Gorgias qui est visé par la verve malicieuse de Platon. Dès le commencement de sa réplique Socrate dit : « L’éloquence d’Agathon m’a rappelé Gorgias au point que véritablement il m’est arrivé ce que dit Homère : Je craignais qu’Agathon en finissant ne lançât en quelque sorte sur mon discours la tête de Gorgias, cet orateur terrible, et ne pétrifiât ma langue » (198, C).

II

Avec le discours de Socrate le ton change, nous entrons dans un ordre d’idées tout nouveau. Il ne s’agit plus de dire à tort ou à raison tout ce qu’on peut trouver de plus favorable sur l’amour, mais de chercher la vérité. Nous n’avons plus affaire à des sophistes, mais à un philosophe.

En quelques mots Socrate met en déroute les arguments d’Agathon et des autres convives. Il démontre avec la plus irrésistible évidence que l’amour n’est pas parfait par lui-même puisqu’il est toujours un désir et suppose la privation et la souffrance. Nous n’exposons pas ici la théorie que Socrate oppose à celles de ses interlocuteurs ; elle est trop connue et trop présente à toutes les mémoires pour qu’il soit utile d’y