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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/132

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PHILOSOPHIE ANCIENNE

abord, a certes de quoi surprendre. Songeons néanmoins que le terme « mélange » est synonyme du terme « participation ». Le Dieu suprême du platonisme participerait, selon nous, aux Idées, à l’idée du Bien, à l’Idée de la Perfection, peut-être même encore à celle du Vivant en soi, αὐτόζωον, mentionnée dans le Timée.

Pour justifier cette interprétation, il convient d’insister sur la thèse toute platonicienne de l’infériorité du νοῦς ; à l’Idée du Bien. À deux reprises, dans le Philèbe, puis dans le Timée, le νοῦς est présenté comme inséparable de la ψυχή, ou de l’âme. Et l’âme, principe de vie, est, très certainement, autre chose que l’Idée. Dans la République, il nous est dit de l’Idée du Bien qu’elle produit l’intelligence et la vérité, νοῦν ϰαὶ αλήθειαν παρασχομένη. D’où l’on peut conclure qu’elle en est différente et qu’elle les domine puisqu’elle les fait naître.

Façonnés par vingt siècles de Christianisme, nos esprits modernes hésitent devant une conception qui pourrait sembler impie et presque choquante. Est-il rien pour nous de supérieur à Dieu ? Il n’en était pas ainsi pour les Grecs. Au-dessus des Dieux les Grecs plaçaient le Destin. De plus, au temps de Platon, où était la difficulté d’imaginer une nature divine formée par composition, puisqu’il s’était naguère trouvé un poète pour chanter la Théogonie ? Que pouvait avoir d’invraisemblable ce discours que, dans le Timée, le Dieu suprême tient aux dieux inférieurs ? Car il leur dit en propres termes : « Vous n’êtes pas indestructibles puisque vous êtes composés ; mais vous ne serez pas détruits, car telle est ma volonté ». Ailleurs Platon affirme que les compositions parfaites échappent à toutes les causes de dissolution. Ainsi l’idée d’un Dieu suprême composé et subordonné à un principe supérieur n’a rien qui puisse faire hésiter l’esprit d’un Grec contemporain de Platon. Au reste, l’idée que Platon se fait de ce Dieu n’en reste pas moins très haute. Ce Dieu est puissant, parfait, il reste voisin du Bien absolu. Mais il n’est ni le lieu des Idées ni la pensée qui les produit. C’est un être soumis à la naissance, affranchi de la double nécessité de vieillir et de mourir. C’est un immortel. Ce n’est pas un éternel. Il n’est d’êtres éternels que les Idées.