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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/53

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contre la théorie pythagoricienne selon laquelle les corps ne sont que des sommes de points, aurait besoin d’être appuyée sur des textes. Il n’y en a pas un. C’est une pure conjecture. Et cette conjecture est ici encore contredite par les textes de Platon. Dans le Sophiste (242, D), Platon oppose la thèse de Parménide et des Éléates non pas aux Pythagoriciens, mais aux Muses ioniennes et siliciennes : et le contexte prouve qu’il s’agit d’Heraclite et d’Empédocle. De plus, la thèse est entendue ici en un sens tout métaphysique; il s’agit non de telle ou telle théorie sur la composition des corps, mais de l’unité de l’être en général. Toute la discussion qui suit en fait foi. S’il en est ainsi, et si, comme l’atteste encore Platon (Parm., 128, C), Zénon n’a fait que défendre les thèses de son maître contre ceux qui les tournaient en ridicule, il faut conclure que les arguments de l’Eléate étaient dirigés contre ceux qui affirmaient la multiplicité de l’Être, de quelque manière qu’on l’entende. Comme pour les Ioniens, l’Être était la matière qui tombe sous les sens, Zénon avait absolument le droit de dire : si cet être est composé de parties, il est divisible à l’infini, ou formé d’indivisibles : et il prouvait que l’un et l’autre terme de l’alternative est absurde. L’argument portait donc contre l’idée de la pluralité en général. C’est une thèse toute métaphysique, et non pas physique ou mathématique.

On peut bien dire après cela que les Éléates ont introduit dans la philosophie le concept du continu : mais encore faut- il remarquer qu’ils n’en ont fait aucun usage scientifique. Le continu pour eux est indivisible : il n’a pas de parties; il ne diffère pas de l’unité absolue. Quant au concept du nombre, il est bien vrai qu’ils l’ont retiré des choses, mais il ne parait pas que ce fût pour le considérer à part et lui faire subir une élaboration savante, « pour lui restituer son caractère de concept utilisable à volonté et indéfiniment ». C’était pour n’en faire aucun usage. Ils l’ont retiré des choses, mais ils ne l’ont replacé nulle part : ils en ont interdit tout emploi. Le nombre est pour eux pure apparence et illusion, puisque nulle part il n’y a de multiplicité réelle. Ont-ils néanmoins contribué, par leur négation, à en rendre plus facile l’application aux choses? Ce ne serait en tout cas que d’une manière