et que de l’autre il aurait ébauché la théorie que développera Platon, théorie d’après laquelle certaines choses sont bonnes par elles-mêmes, indépendamment des avantages matériels que nous pouvons en retirer, et même si elles ne nous procurent pas ces avantages : « Assurément, il y a contradiction à professer que la vertu est la fin suprême de la vie, et à la recommander en même temps à cause des avantages qu’elle procure, et Platon, en effet, reconnaissant là une contradiction, l’a évitée. » (Trad. Boutroux, t. III, p. 145.) Ed. Zeller ajoute qu’on aurait tort de reprocher gravement à Socrate ces contradictions, car il est arrivé à tous les philosophes, y compris Kant lui-même, de se contredire. Cette dernière remarque est fort juste, et nous n’aurions aucune hésitation ni aucun scrupule à absoudre Socrate, si les textes nous obligeaient vraiment à relever dans sa doctrine la contradiction dont l’accuse Ed. Zeller. Or, c’est justement ce que je ne crois pas. Je ne trouve rien, en effet, qui puisse nous autoriser à attribuer à Socrate les idées qu’on lui prête. Ed. Zeller cite un passage de l’Apologie (29 D) où Socrate recommande à ses disciples de perfectionner leur âme et de subordonner tout le reste à cette fin ; de plus quelques lignes de Xénophon semblent aussi montrer que, pour Socrate, l’âme humaine vaut par elle-même. Mais il faut comprendre ce qu’il entend par là. Il y a un texte de Xénophon qui paraît bien de nature à nous enlever toutes les illusions que nous pourrions avoir sur ce point (Mémorables, liv. I, ch. iv). Il y est dit en effet qu’il n’est rien de préférable à l’âme humaine pour éviter le chaud et le froid, pour chercher et trouver ce qui est nécessaire à la satisfaction de la faim et des autres besoins de l’organisme, etc. Telle est donc la pensée de Socrate, quand il affirme l’excellence de l’âme : elle est un organe merveilleusement approprié aux fins profitables à la vie de l’individu, elle est d’une utilité capitale pour la conservation du corps et pour son bien-être ; en un mot, il considère l’âme non pas comme étant une fin en elle-même, mais comme un moyen, un instrument, un organe admirablement adapté à sa fonction, qui est d’assurer à l’homme la plus grande somme possible d’avantages matériels. Dans toute cette discussion, il semble bien que Socrate se soit trouvé en présence d’une diffi-
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PHILOSOPHIE ANCIENNE