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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/77

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L’ŒUVRE DE SOCRATE

culté qu’il n’est pas parvenu à surmonter. D’une part, son bon sens et sa grande sagesse pratique lui font sentir qu’il doit y avoir un principe d’action supérieur à l’agréable ou au plaisir immédiat ; d’autre part, quand il s’efforce de déterminer ce principe lui-même, il ne parvient pas à le distinguer de l’utile, et l’utile lui-même ne diffère pas essentiellement de l’agréable. Ainsi, c’est faute d’avoir trouvé une définition du bien, ce qui était pourtant l’objet principal de ses recherches, que Socrate s’embarrasse dans d’inextricables contradictions. C’est ce que confirme le passage du Protagoras déjà cité ci-dessus, où Socrate ramène expressément le bien et le mal au plaisir et à la peine, ἡδὺ ϰαὶ ἀνία.

Cela est si vrai que, dans un entretien avec le sophiste Antiphon (Mémorables, liv. I, chap. vi), celui-ci lui objecte que tout en cherchant le bien ou l’utile, lui, Socrate, n’arrive, en somme, qu’à des résultats médiocres, puisque, mal nourri, mal vêtu, privé de tous les plaisirs, il vit comme un malheureux. À cela Socrate répond qu’en effet il est pauvre, que sa nourriture est grossière, qu’il porte le même vêtement l’hiver et l’été, qu’il marche pieds nus ; mais il ajoute qu’il est libre, sobre, endurant, sans besoins, qu’il ne dépend de personne, qu’il n’est pas l’esclave de son propre corps. 11 énumère ainsi un certain nombre de vertus. Ces vertus, d’après sa théorie, sont bonnes, parce qu’elles pourraient lui procurer certains avantages, mais, en réalité, il n’en retire jamais aucun profit, aucune jouissance. Il y a donc ici une difficulté, et même une contradiction, mais différente de celle que Zeller reproche à Socrate, et qui consiste en ceci : Socrate recommande de pratiquer les diverses vertus à cause des avantages matériels qu’elles sont susceptibles de nous procurer ; mais ces avantages, il n’en jouit jamais.

En résumé Socrate a défini la vertu par la science ; mais cette définition toute formelle ne pouvait suffire. Il aurait fallu déterminer l’objet de cette science, c’est-à-dire le bien, mais comme Socrate n’avait à sa disposition que des notions assez vagues de l’utile ou de l’agréable, telles que les conçoit le sens commun, il ne pouvait résoudre la difficulté. Ici encore, en ce qui concerne le problème capital de sa philosophie, il n’a pas su découvrir une définition.