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PHILOSOPHIE ANCIENNE

mythes du Timée devraient être pris au pied de la lettre. On peut d’ailleurs s’en assurer en les rapprochant des autres dialogues. Il n’y a peut-être pas dans tout le Timée une affirmation de quelque importance qu’on ne puisse retrouver sous une forme à peine différente dans d’autres dialogues. Nous voudrions en donner un ou deux exemples à propos des problèmes essentiels : la nature de l’âme et celle de Dieu.

Le Timée nous représente l’âme humaine comme composée de deux parties : l’une mortelle, l’autre immortelle ; et cette affirmation très évidemment se retrouve ailleurs. Mais en outre la partie rationnelle ou immortelle de l’âme nous est donnée elle-même comme composée de trois éléments : l’essence du même, celle de l’autre, et une essence intermédiaire qui ne paraît pas être autre chose que le nombre. Or, si étrange que cela paraisse à première vue, nous croyons que cette composition de l’âme rationnelle doit être prise au sérieux. Sans doute il ne faudrait pas pousser les choses à l’extrême, et quand Platon parle de la coupe ou du cratère dans lequel Dieu a mêlé les éléments constituants de l’âme, on ne doit pas s’imaginer qu’il s’agisse d’un objet corporel et d’un mélange comme celui que faisaient les alchimistes. Mais qu’il s’agisse là d’un véritable mélange idéal, en d’autres termes, que l’âme humaine, loin d’être simple, comme nous le disons aujourd’hui, soit réellement un composé, un mélange, c’est ce qui deviendra évident peut-être, si l’on considère que le mot de μῖξις ou ses équivalents reviennent à chaque instant chez Platon et qu’ils sont, en fin de compte, comme on peut le voir par le Sophiste, synonymes de ce que le philosophe appelle la participation. Au surplus il n’y a pas de difficulté, dans cette philosophie, à concevoir qu’un mélange soit immortel ou éternel, pourvu qu’il soit bien fait, ou qu’il ait été formé par la main des Dieux. C’est ce que dit en propres termes le Timée dans cet étrange discours que le démiurge adresse aux dieux récemment créés : Vous n’êtes pas indécomposables, ἀδιάλυτοι ; mais cependant vous ne serez pas détruits, où λυθήσεστε, parce que je le veux ainsi, τῆς ἐμῆς βουλήσεως, et c’est ce que confirme le texte de la République, X, 611, B : il n’est pas facile qu’un composé soit éternel, surtout si la composition n’en est pas très belle, ϰαὶ μὴ τῇ ϰαλλίστῃ