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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/91

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LES MYTHES DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON.

ϰεχρημένον συνθέσει. L’âme immortelle est donc composée d’Idées fondues ensemble avec une parfaite harmonie, et cela signifie qu’elle participe essentiellement de la nature du même ou de l’un, et de la nature de l’autre ou du multiple unies entre elles comme toujours chez Platon par un moyen terme (μεταξύ) ; et c’est parce qu’elle est ainsi composée qu’elle peut connaître, d’une part ce qui est toujours identique à soi-même, c’est-à-dire les Idées, d’autre part ce qui change sans cesse, c’est-à-dire le monde sensible. Car c’est un principe constant dans la philosophie platonicienne que le semblable seul connaît le semblable. La connaissance dans cette philosophie s’explique par ce fait que le sujet est substantiellement identique à l’objet. Empédocle, composant l’âme d’éléments corporels, disait que c’est par la terre que l’âme connaît la terre, et par l’eau qu’elle contient qu’elle connaît l’eau ; Platon, composant l’âme d’éléments idéaux, conçoit exactement de la même manière le rapport du sujet et de l’objet : c’est ce qui nous est attesté expressément par Aristote dans un passage du traité de l’Âme (liv. I, chap. II, 404 B, 16).

Mais c’est surtout quand il s’agit de la divinité que l’interprétation des mythes du Timée prend une grande importance. Il en résulte avec évidence que le démiurge est conçu, ainsi que l’âme du monde elle-même, comme appartenant au monde du devenir, c’est-à-dire comme soumis au changement, inférieur aux Idées placées au-dessus de lui, participant de leur nature et, osons le dire, peut-être comme composé lui-même. Ce démiurge est le seul être qui dans Platon soit désigné par ce mot : le dieu, ὁ θεός. Des interprètes modernes ont bien pu, de leur autorité privée, transporter cette appellation à l’Idée du Bien elle-même. Mais rien dans les textes n’autorise cette substitution, et si l’on va au fond des choses il est bien difficile de comprendre comment une Idée, au sens platonicien du mot, pourrait être en même temps l’Être individuel et personnel que tout le monde et Platon lui-même désigne par cette expression : le dieu, ὁ θεός. En fait, jamais Platon ni Aristote n’ont identifié l’idée du Bien avec Dieu, et, d’autre part, jamais l’Être que Platon appelle Dieu n’a été identifié avec l’Idée du Bien. Au contraire, il en est expressément distingué dans le Timée, puisqu’il a les yeux fixés sur les Idées