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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

Le temps de son retour me semblait bien long, la distance était assez éloignée de notre maison à la pharmacie.

— Petite mère, grand’mère, papa, je vais mourir.

Cette fois, je n’ai plus de doute, il sentait qu’il allait mourir, le cher enfant.

— Mon cher ange, ne meurs pas, je t’en prie, ton petit père va venir, et tu seras sauvé.

Le cher petit ne parla plus, mais il prit avec ses deux petites mains, les deux montants de son lit, il s’y cramponna avec une telle volonté, qu’il put résister ainsi jusqu’à l’arrivée de son père.

Hélas ! la potion arriva trop tard, lorsqu’il vit son père, de grosses larmes coulèrent de ses beaux yeux, ses mains lâchèrent prises, il soupira et tout était fini. Il mourut le 28 janvier 1868.

J’étais surprise, atterrée, je ne puis dire si je souffrais ou non, je n’avais pas conscience de ce qui m’arrivait, je ne pouvais me convaincre de la réalité.

Lui, qui avait été ma seule espérance, ma seule joie, c’était fini à jamais. Il était si doux, si intelligent, dans sa candeur naïve. Il mourut à l’âge béni où les enfants sont adorables. Lorsque je fus forcée de me rendre à l’évidence, je voulus seule m’occuper de mon cher trésor ; je lui fis sa toilette, je lui mis ses plus beaux habits, sa jolie robe de cachemire blanc ; il était si beau couché dans son lit garni de rideaux de dentelles, il semblait sourire et dormir ; si j’avais pu le garder ainsi toute ma vie, cela aurait été encore du bonheur !