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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

Nous relevâmes nos blessés et nos morts sous les balles ennemies. Quoique le drapeau de la Croix-Rouge fut levé, les Versaillais tiraient toujours isolément, plus d’une fois il fallut nous coucher en tenant dans nos bras notre précieux fardeau, pour le garantir d’être tué une seconde fois. (Ces malheureux avaient beaucoup de courage pour tuer leurs frères, ils avaient été chauffés à blanc, on leur avait dit tant de mal et de mensonges de ces pauvres Parisiens.

Les Versaillais n’étaient pas nombreux à la prise du Fort, mais ils se déployaient en tirailleurs, ce qui était un grand avantage sur les nôtres, qui combattaient en ligne, képi rouge sur la tête, point de mire à une distance aussi rapprochée.

La lutte avait été terrible, trois fois notre drapeau tomba, la troisième fois il se releva et cette troisième fois il fut vainqueur. Les Versaillais abandonnèrent le terrain et fuyaient de toute part.

Lorsque nous allâmes au château, quel horrible tableau nous avions sous les yeux, étendus pêle-mêle, les morts et les blessés avaient été déposés dans les chambres au rez-de-chaussée, il y avait des nôtres, des gardes nationaux, des Vengeurs. Cela faisait mal à voir, au milieu de cette tuerie nous étions trois femmes, la cantinière des Vengeurs et une de la Garde Nationale, laquelle fut grièvement blessée. Ces deux vaillantes citoyennes ont bien mérité de l’humanité, elles eurent un grand courage et furent admirables de dévouement. Moi, j’étais la troisième, le hasard m’a épargnée.