Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/18

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fille. Mais tout de même, Yves pensait que, depuis qu’elle ne travaillait plus au bureau, Gisèle aurait pu s’arranger pour épargner au moins à son père les tracas de la cuisine.

— La pauvre enfant est si occupée ! constatait M. Nadeau, résigné.

Yves ne répondait pas. Il ne voulait pas dire au père de Gisèle que celle-ci, en réalité, n’était pas si occupée qu’elle le paraissait, et qu’il y avait dans ses journées beaucoup d’agitation vaine et inutile : bavardages, tasses de thé ou cocktails, souci de se montrer dans les endroits « chic », tout ceci n’ayant qu’un lointain rapport avec l’activité artistique.

Enfin, la sonnette tinta, Yves se précipita, et bientôt Gisèle faisait irruption dans la cuisine, les yeux brillants, l’allure trépidante.

— Ah ! mes enfants… si vous saviez ce qui m’arrive !…

Les enfants », c’est-à-dire son père et son fiancé, l’interrogèrent avidement :

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Dis vite !…

Elle prit un temps comme pour reprendre haleine mais en réalité pour exciter l’impatience de ses interlocuteurs ; elle ménageait ses effets ; enfin, n’y tenant plus elle-même, elle expliqua :

— Voilà. Tout à l’heure, j’étais à mon cours, chez Suzy Dorly, et je répétais mes chansons au piano, lorsque Serge Brévannes est arrivé…

— Qui est-ce ? demanda innocemment M. Nadeau.

Sa fille le foudroya du regard.

— Voyons, papa !… Serge Brévannes, le compositeur, celui qui a fait tant de chansons et d’opérettes à succès ! Je t’en ai souvent parlé !

— Peut-être bien… Tu me parles de tant de monde ! admit le brave homme. Et alors, ce monsieur ?…

— Il m’a écoutée chanter, longtemps, avec beaucoup d’attention, et puis il est venu à moi en souriant, et il ma dit : « Mademoiselle, votre voix est aussi ravissante que votre visage ! Vous devriez essayer l’opérette ! » Moi, je saisis la balle au bond, et je lui réponds que je ne demanderais pas mieux, mais que c’est l’occasion qui me manque. Alors il me dit qu’il termine une nouvelle opérette qui doit être montée bientôt dans un grand théâtre, et qu’il a un rôle pour moi…

Yves, qui n’avait rien dit jusque-là, prit la parole avec une nuance de raillerie :

— Un rôle de vedette, bien sûr ?

Brusquement interrompue dans le flot de son éloquence, Gisèle le regarda sans douceur.

— Tu peux te moquer de moi, ce n’est pas très intelli-