Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/19

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gent. Je ne suis pas assez sotte pour croire qu’on m’offrirait un rôle de vedette, à moi qui n’ai encore rien fait. M. Brévannes m’offre un rôle secondaire, et c’est déjà magnifique ! Le personnage me plaît beaucoup…

— Tu le connais déjà ?

— Oui, M. Brévannes me l’a expliqué en quelques mots. C’est celui d’une jeune fille timide, effacée, une sorte de Cendrillon moderne…

Yves se mit à rire.

— Ça tombe bien ! C’est tout à fait toi !

— Une artiste doit adapter sa personnalité à celle de ses rôles ! déclara la jeune fille, piquée. S’il fallait avoir en réalité toutes les qualités et tous les défauts qu’on représente sur la scène, ce serait impossible. Je ne suis pas une Cendrillon…

— Oh ! non ! Pas du tout !

— … mais je « sens » très bien ce personnage-là. Et puis, je chanterai une chanson, une seule, mais si jolie ! M. Brévannes me l’a jouée, et je l’ai déjà retenue… Comment est-ce donc ? La la… la la la… la la la… Ah ! oui : L’espoir est entré dans mon cœur

Et Gisèle, transportée, se mit à valser en fredonnant dans l’étroit espace de la cuisine, entre la table et l’évier. M. Nadeau, gagné par son enthousiasme, brandit sa cuiller de bois comme un glaive victorieux.

— C’est épatant, ma chérie !

Gisèle, heureuse de le voir de son avis, lui sauta au cou.

— Crois-tu, mon vieux papa, quelle chance ! Débuter dans une opérette de Serge Brévannes ! Avec ça, je serai lancée !

— Et comment… acquiesça M. Nadeau en embrassant sa fille. Dans la prochaine pièce, c’est toi qui seras la vedette ! Il faut arroser ce beau jour, mes enfants ! Je vais aller voir à la cave s’il me reste une bonne bouteille…

Il se tourna vers Yves et lui asséna une tape sur l’épaule.

— Hein, mon garçon ! Nous allons trinquer au triomphe de notre Gisèle !

— C’est peut-être légèrement prématuré, dit Yves, très calme.

Ce fut comme si un courant d’air glacé balayait la cuisine. M. Nadeau, interloqué, rajusta ses lunettes pour fixer son futur gendre ; quant à Gisèle, elle eut un éclair dans le regard et un frémissement des narines qui auraient fait merveille dans un « gros plan » pour exprimer l’irritation latente qui va bientôt éclater. Dans le silence qui s’établit soudain, une odeur s’imposa, alarmante.