Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/30

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cru que c’était fini pour moi, que je pourrais me détacher de ce monde du théâtre et du cinéma, être une petite bourgeoise… Mais non. Dès que j’ai reçu cette convocation, la fièvre m’a reprise, et j’ai tout oublié… Oh ! je sais bien que tu dois me juger sévèrement…

Yves secoua la tête avec un sourire. Après avoir été saisi et choqué par ce départ décidé en dehors de lui il se sentait envahi par un sentiment de délivrance : l’équivoque était dissipée, la situation était claire.

— Moi, te juger sévèrement ? dit-il. Et de quel droit ? Chacun de nous obéit à sa nature, à ses penchants, à ce qu’un romancier appellerait « l’appel de son destin ». Tu es faite pour la vie d’artiste, brillante, mouvementée, et tu y trouveras sans doute le succès et le bonheur, c’est ce que je te souhaite ! Encore une fois, de quel droit m’y opposer, moi, sous prétexte que je n’aime pas ce métier et ce genre de vie ? Nous n’avons qu’à nous séparer, voilà tout !

Il avait l’air si paisible qu’elle fit la moue.

— Je croyais que tu me regretterais plus que ça…

Il éclata de rire.

— Quoi ? Il te fallait une grande scène de désespoir ? Je ne sais pas la jouer ! Puisque tu t’en vas si joyeuse, permets que je ne me jette pas à tes pieds en menaçant de me suicider !

Elle rit aussi.

— Non, ça, ce serait trop, je n’y croirais pas ! Passe-moi ma robe verte, veux-tu ?

— Voilà… Tu sais, si tu as besoin de moi pour boucler tes malles…

— Je te remercie, ça me rendra bien service. Papa est au consulat pour mon passeport. Le pauvre homme, je le fais trotter depuis plusieurs jours ! Mais il est aussi content que moi… Oh ! mon rôle est magnifique ! Ça se passe en 1830, j’aurai des toilettes ravissantes…

Et ainsi, la conversation se poursuivit, animée, entre les fiancés d’hier redevenus ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être : des camarades. En s’en allant, Yves embrassa Gisèle sur les deux joues en lui disant :

— Bonne chance ! J’irai te voir au cinéma !

— Tu es gentil… Moi aussi, je te souhaite bonne chance… Choisis mieux ta fiancée la prochaine fois…

Elle ajouta, malicieuse :

— Peut-être est-elle déjà choisie ?

Yves rougit jusqu’aux oreilles, et se sauva. Le fameux refrain de l’opérette, celui que Gisèle ne chanterait pas, l’obsédait : L’espoir est entré dans mon cœur…