Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/32

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— Son retour !… Elle n’est donc pas partie pour toujours ?

— Mais non ! Elle a seulement anticipé un peu sur ses vacances, sur l’ordre du médecin, parce qu’elle est malade…

— Malade !…

Cette fois, Yves est complètement affolé. D’une voix frémissante, il questionne :

— C’est grave ?

— Je ne crois pas. Elle a surtout besoin de repos. C’est une petite qui a eu trop de fatigue, trop de soucis…

Yves s’assied sur une chaise ; l’émotion lui a coupé les jambes. Il baisse la tête, accablé de remords. Trop de soucis… Bien sûr, Annie a eu la maladie et la mort de sa mère, des conditions matérielles difficiles, des privations… Mais qui donc a ajouté au fardeau déjà si lourd de la pauvre enfant la peine la plus dure à porter pour un cœur tout neuf : la déception amoureuse, la détresse de se croire dédaignée, abandonnée ?

— Mais elle va se remettre vite ! continue Albert, optimiste. À son âge, avec du repos, une bonne nourriture, le grand air…

Ces derniers mots tirent Yves de son accablement et lui font redresser la tête.

— Le grand air ? Mais elle m’avait dit qu’elle passerait ses vacances à Paris !

— Tu ne voudrais pas ! proteste Albert. Ce serait inhumain ! Annie ira à la campagne, et elle sera bien soignée, je t’en réponds, puisque je l’envoie chez ma grand-mère !

Yves fronce le sourcil, en proie soudain à un autre genre d’inquiétude : il découvre qu’Albert s’intéresse beaucoup à la jeune fille — beaucoup trop ! — et qu’il est devenu bien familier avec elle ! Yves aurait dû s’en douter : dès les premiers jours, Albert avait remarqué Annie, et enviait son collègue d’avoir une telle « perle » comme dactylo ! Et voilà : il a profité de l’occasion, il a consolé Annie, il a offert son amour à la place de celui qui se dérobait ! Yves, sur le moment, ne réfléchit pas que, dans cette histoire, c’est lui le coupable ; comme la plupart des amoureux lorsqu’ils sont atteints au plus profond d’un sentiment caché mais ardent, il éclate, pâle de rage :

— Comment, chez ta grand-mère ? C’est toi qui es chargé de veiller sur la santé d’Annie ?

— Il faut bien que ce soit moi, puisque personne d’autre ne s’occupe d’elle, répond Albert avec sérénité.

Pan !… Yves ne trouve rien à répliquer. Il sait qu’il a tort, et c’est pourquoi il s’entête.

— Et tu vas y aller aussi, chez ta grand’mère, passer tes vacances, persifle-t-il.