Page:Brochet - La Meilleure Part.djvu/33

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— Dame ! c’est bien mon droit, je suppose ?

Yves, le cœur ulcéré, ricane :

— Oh ! je ne t’en empêcherai pas ! Je remarque simplement que ta générosité envers Annie est un peu… compromettante. Car, enfin, à quel titre l’emmènes-tu ? Comment la présenteras-tu à ta grand-mère, qui doit être une bonne vieille dame respectueuse des convenances et du « qu’en dira-t-on

Albert, très grave, pose le crayon avec lequel il jouait machinalement, et regarde Yves droit dans les yeux.

— Les convenances et le « qu’en dira-t-on » seront respectés. J’emmène Annie à titre de fiancée !

C’est le dernier coup, le mot qui enlève tout espoir à Yves. Il avait beau s’y attendre depuis quelques minutes, cela lui a fait un choc ; il lui semble que ce mot a brisé, comme une pierre dans une vitre, le rempart d’illusion derrière lequel il tentait encore de s’abriter. Il reste hébété… Il entend, lointaine, comme dans un rêve, la voix de son camarade :

— Tu as l’air suffoqué ! Je ne vois pas ce qu’il y a d’étonnant à cela ! Tu n’approuves pas mon choix ? Pourtant, je crois qu’un jeune homme ne pourrait souhaiter de meilleure compagne. Annie possède les plus rares qualités du cœur et de l’esprit ; elle est bonne, délicate, aimante et dévouée, intelligente, sérieuse, loyale…

Yves approuve de la tête, à chaque fois. Ah ! oui, il les connaît, les qualités d’Annie, et c’est pourquoi les regrets le déchirent à la pensée qu’il a sottement laissé échapper cette merveille… Pendant qu’il perdait son temps auprès de Gisèle qui ne lui en savait aucun gré, Annie a souffert, Annie a pleuré et s’est lassée de l’aimer sans être payée de retour. Elle s’est tournée vers un autre… C’est normal. Il est trop tard maintenant pour Yves. Il a manqué la plus belle chance de bonheur de sa vie. C’est fini…

Lourdement, il se lève. Il n’en veut plus à son ami, comme tout à l’heure, sous le coup de la colère et de la jalousie. Au contraire, avec un pauvre sourire crispé, il lui tend la main.

— Eh bien ! bravo, mon vieux, bravo !… Tu ne pouvais mieux choisir, en effet… Tous mes vœux de bonheur…

Mais que se passe-t-il ? Voici qu’Albert éclate de rire, et envoie une affectueuse bourrade à son collègue stupéfait. Idiot !… Ne fais pas cette tête-là, je t’en prie, elle conviendrait beaucoup mieux à un enterrement qu’à un mariage ! Alors, tu as marché, tu as cru que je t’avais « soufflé » Annie ?

— Quoi ? balbutie Yves, ahuri par ce système de douche écossaise. Tes fiançailles ? Les vacances chez ta grand-mère ?

— D’abord, mon petit vieux, déclare Albert, sache que