Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/31

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ces forces sont impuissantes à créer, et qui exige pour naître une nouvelle effusion de cette activité industrieuse dont la source est en Dieu. Dès qu’apparaît la cellule vivante, c’est un monde nou— veau qui se produit, avec des substances et des lois que la nature inorganique ne connaissait pas. Il y a dans le monde inorganique des types nombreux de formes géométriques se reproduisant toujours, d’une manière invariable, dans les mêmes circonstances. Dès que la vie apparaît, d’autres types, d’autres formes se manifestent, mais ces types se développent, grandissent, croissent et meurent. Un double mouvement de nutrition et de sécrétion anime et renouvelle constamment leur nature. Enfin, par une puissance merveilleuse, et que rien dans le monde inférieur ne pouvait faire prévoir, ces êtres se reproduisent, et d’un seul individu, d’un seul couple, sort une série indéfinie d’individus semblables. Entre le monde organique et le monde inorganique, il y a donc rupture, passage brusque, solution de continuité. Or ce que je soutiens en ce moment, c’est qu’une solution de continuité semblable existe entre l’animal et l’homme. De même que de l’atome qui n’est susceptible que d’agrégation et de désagrégation, à la cellule qui se nourrit et se reproduit, il y a une solution de continuité incontestable, de même entre l’être qui vit, qui se meut, qui sent, mais qui ne connaît pas la vérité, et ne s’élève pas au-dessus des sensations et l’être qui pense et qui possède la science, il y a un abime qu’aucune transition graduelle ne franchit. Les corps vivent ou ne vivent pas, ils ne vivent pas à moitié ; les êtres vivants et sentants pensent ou ne pensent pas, ils ne pensent pas à moitié. Telle est la thèse importante que je vais essayer de démontrer.


II


Il existe entre l’homme et les animaux une différence évidente, qui n’a besoin pour être constatée d’aucune observation scientifique c’est l’existence du langage, privilège de l’humanité. Tous les hommes parlent et comprennent mutuellement leur propre langage. Aucun animal ne parle, aucun ne comprend le langage humain. Le fait est évident. Entre l’être parlant et l’être ne parlant pas, il n’y a pas d’intermédiaire connu. Le plus dégradé des sauvages de l’Australie a un langage, une grammaire, un vocabulaire qui peut se traduire dans celui d’une autre langue. Il peut apprendre à parler anglais, français, arabe ; il peut apprendre à lire l’écriture et reproduire sa pensée par écrit. Le plus intelligent des éléphants ou des chiens, vivant en rapport continuel avec l’homme, n’est pas