Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/38

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sert à communiquer la science d’une intelligence à une autre. Grâce à ces termes généraux qui s’appliquent à une foule d’objets semblables, les expériences individuelles peuvent être rassemblées et résumées dans des lois qui se fixent aisément dans la mémoire. L’écriture permet de graver ces résultats de telle sorte qu’ils ne peuvent pas périr. Chaque génération profite ainsi des expériences des générations précédentes. Une tradition de vérités acquises, une accumulation de science se forme ainsi dans les sociétés humaines et grandit parallèlement à cette accumulation de puissance physique, résultat du travail des générations antérieures et que nous nommons le capital. C’est grâce à ces deux forces, intellectuelle et physique, toujours croissantes, que l’humanité peut marcher dans la voie du progrès. Il est cependant nécessaire, pour que cette marche progressive ait lieu, que les efforts des hommes soient constamment dirigés vers un même but, que les écarts de leur liberté soient prévenus et corrigés, et que les actions individuelles convergent vers l’accomplissement d’une même fin. Ce sont là les conditions du progrès, qui ne se réalisent que dans certaines circonstances. Mais la principale force progressive, le véritable moteur du progrès, c’est l’accumulation de la science provenant elle-même de la tradition, laquelle n’est qu’une application du langage à la transmission aux enfants des vérités acquises par leurs parents.

Aussi ne devons-nous pas nous étonner que l’animal, dépourvu du langage humain et de la pensée qui lui correspond, ne possède pas, quand il est constitué à l’état social, la même perfectibilité. Mais l’animal est-il vraiment perfectible ? Les sociétés animales sont elles susceptibles de progrès ? À cette question, on peut faire deux réponses, l’une est tirée de l’expérience, la seconde du système moderne de l’évolution. La réponse de l’expérience est négative. La stabilité est le caractère des instincts des animaux et des sociétés dont ces instincts sont le lien. Sauf les cas où l’homme intervient par le travail raisonné de l’éducation, les animaux sont ce qu’ils étaient aux époques les plus reculées que nous connaissons. La monarchie des abeilles n’a subi dans sa constitution aucun changement ; ces insectes cherchent le miel et bâtissent les rayons, en suivant la même forme géométrique qu’autrefois. La république des fourmis se comporte de nos jours comme au temps où elle a été observée pour la première fois. Les castors bâtissent leurs huttes comme dans l’antiquité. À la place du progrès mêlé de décadence et interrompu par des crises, que nous voyons dans le monde humain, le monde animal nous présente le spectacle de l’ordre, de l’uniformité, d’une régularité presque aussi grande que celle que nous observons dans les mouvements des astres. Et cela n’a rien d’éton-