Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/39

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nant. Chez l’animal, point de science. point de tradition, point d’accumulation d’expériences. L’animal n’est guidé que par ses sensations actuelles ou par celles que sa courte mémoire conserve. Il vit dans un monde relatif très restreint. Il sent, il perçoit, il agit. mais il ne sait rien. La science, résultat de l’abstraction et de l’affirmation, lui est étrangère. Ne sachant rien, il ne peut rien transmettre.

Seulement à cette impuissance qui résulte de la forme inférieure de son intelligence, la nature a suppléé. Des instincts, forces mystérieuses et inconnues dont nous ne voyons que les effets, dirigent l’animal dans sa conduite et dans ses mouvements. Ces instincts sont précis, déterminés. compliqués. Ils poussent l’animal vers un but que celui-ci ne connait pas. Ils se divergent suivant le rôle que chaque animal doit jouer dans le corps social. Autres sont les instincts des abeilles ouvrières, autres ceux des mâles, autres ceux des reines. Tout ce qui, dans les sociétés humaines, serait accompli par une législation fixée par l’autorité en vue de besoins sociaux qu’elle comprend, est accompli dans la société animale par la force mystérieuse de l’instinct, qui semble une intelligence supérieure superposée à celle de l’animal, et à laquelle celui-ci est obligé d’obéir. Or ces instincts, aveuglément obéis, sont invariables, ils font partie des caractères fixes de chaque espèce. L’expérience ne montre donc, chez l’animal, aucune perfectibilité.

Maintenant, si nous écoutons les docteurs modernes, ils nous diront que, sous cette stabilité apparente, se cache un progrès d’une extrême lenteur, que les caractères fixes de chaque espèce se sont formés pendant de longs siècles, sous l’action combinée de la sélection naturelle et de l’hérédité. Ils nous diront que les instincts de chaque espèce sont l’accumulation des instincts des espèces antérieures, que ces instincts se sont perfectionnés, avec le temps, comme les espèces elles-mêmes. Nous ne discuterons pas ce système qui ne nous semble encore fondé sur aucun fait démontré ; mais nous observerons qu’entre ce progrès, réel ou hypothétique, mais infiniment lent, des espèces animales, et le progrès certain et constaté par l’histoire des sociétés humaines, il y a un abîme. Les causes de ses divers progrès sont toutes différentes, et leur rapidité est si inégale, qu’ils ne peuvent être comparés ni, à plus forte raison, être ajustés bout à bout pour ne former qu’une seule et unique évolution. Le progrès, s’il existe, des espèces animales se fait uniquement par la sélection et l’hérédité ; le progrès humain se fait par la science, la tradition et la liberté.

Le progrès supposé par les évotutionistes est si lent, qu’on ne constate pas un seul pas en avant mesurable depuis l’origine de l’histoire de l’humanité : sa marche est réglée sur l’horloge infini-