Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/56

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qui commence. Ce serait un argument, moins en faveur de l’évolutionisme proprement dit qu’en faveur du scepticisme moral, doctrine singulièrement commode à cause de la liberté qu’elle laisse aux passions, et que Montaigne a si bien caractérisé en l’appelant un oreiller de paresse. Nous croyons donc qu’il sera utile de prouver que l’homme sauvage primitif n’est point une vérité historique, mais une simple hypothèse ou plutôt une espèce de mythe ou de légende qui n’a rien à faire avec la vraie science. Nous essayerons ensuite de donner, sur l’origine de l’humanité et sur celle de la morale, une autre théorie tout autrement vraisemblable et conforme avec les faits, et de substituer ainsi une histoire, sinon certaine, du moins probable et admissible, du développement des notions religieuses et morales dans l’humanité, à l’histoire imaginaire inventée par les évolutionistes.

II

Comment l’humanité a-t-elle commencé à vivre sur cette terre ? Les premiers hommes étaient-ils de véritables sauvages ? et les véritables sauvages sont-ils absolument sans moralité ? Avant d’entamer l’étude de cette question, il convient d’examiner si elle peut être résolue avec certitude. Or, si nous écartons le témoignage de la révélation biblique, nous pouvons dire que nous n’avons aucun moyen certain de connaître l’origine de l’humanité ? Pour connaître avec certitude ce qu’a été le premier homme, il faudrait avoir sur cette époque primitive des documents historiques. Or t’histoire ne commence que beaucoup plus tard chez tous les peuples, elle est précédée, en ce qui concerne les origines, d’une préface légendaire et mythologique dont on ne peut tirer aucun argument historique certain. La Bible seule contient un récit exempt de mythologie, mais ce récit n’a pour garant que l’autorité de Moïse qui vivait à une époque trop éloignée des premiers temps de l’humanité pour que son témoignage ait la certitude qu’exige l’histoire.

Il est permis, en effet, et je crois pouvoir ajouter, il est nécessaire aujourd’hui d’abandonner les anciens systèmes de chronologie fondés sur l’interprétation trop littérale de certaines généalogies bibliques. Quelle que soit la difficulté de l’exégèse de ces passages, il faut céder à la démonstration, maintenant rigoureuse, d’une antiquité de l’homme beaucoup plus grande et dont les limites ne peuvent dès lors être fixées que par l’histoire profane. Les annales de l’Égypte et de la Chaldée nous montrent des civilisations déjà pleinement constituées avant l’époque où les plus larges systèmes de la chrono-