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III

L’hypothèse de l’état sauvage primitif étant rejetée comme arbitraire et gratuite, pouvons-nous faire sur l’origine de l’homme une autre hypothèse plus vraisemblable ? Je crois que cela est possible et qu’il suffit de considérer ce qu’est l’homme, comment ses idées morales se forment de nos jours, et de remonter, par une induction prudente, de l’état actuel à l’état primitif.

Et d’abord l’homme n’est pas un simple animal. C’est un être qui a ses facultés propres. Donc, il ne sort pas de l’animal par les simples lois de l’hérédité ; il n’est pas le vrai fils de parents animaux. Si, par un dessein que rien ne prouve, le Créateur avait voulu que l’organisme humain résultat d’une transformation des organismes inférieurs, cette transformation accompagnée d’un aussi grand changement que l’adaptation à recevoir une âme raisonnable, serait, dans l’ordre même de l’évolution, un fait exceptionnel, une immense exception à la loi d’hérédité, une véritable métamorphose. Il y a donc eu des premiers hommes ; il y a eu des hommes qui n’ont pas eu d’autres hommes pour parents.

Maintenant, comment ces premiers hommes ont-ils reçu ce qui, chez leurs enfants, est l’effet de l’éducation donnée par les parents. Dans l’état actuel, l’homme est incapable de se passer de cette éducation. Il faut que pendant de longues années ses parents veillent sur lui, il faut qu’ils lui apprennent à se servir de ses membres. En même temps, il reçoit d’eux, avec la connaissance des mots, celle des idées les plus simples ; c’est d’eux aussi qu’il reçoit les idées morales.

Sans doute, l’enfant a une conscience capable de discerner le bien du mal, comme il a une raison qui distingue le vrai du faux. Mais pour que cette conscience et cette raison passent de la puissance à l’acte, ne faut-il pas une initiation extérieure ? On peut se demander si les notions morales naîtraient spontanément en lui au cas où elles ne lui seraient pas suggérées. En tout cas, dans l’état actuel. l’ordre de la nature veut que l’homme reçoive une éducation physique et une éducation intellectuelle et morale. L’homme ne peut se développer seul ; il lui faut un secours ; ses facultés sensibles et perceptives grandissent par le spectacle de la nature ; ses facultés morales passent de la puissance à l’acte par le secours de la tradition.

Or l’hypothèse que je fais, hypothèse qui est presque une certitude aux yeux de la raison, et qui est pour nous une certitude aux yeux de la foi, c’est que le premier homme a reçu de Dieu, soit