Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/69

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faut pour résoudre cette difficulté tenir compte des raisons intimes et profondes de cette loi qui défend l’inceste. Son but est de créer sur la terre deux ordres de relations distinctes et inconciliables, celle de l’époux et de l’épouse et celle du frère et de la sœur. Sans la loi qui défend l’inceste, ces relations se confondraient, et la société humaine manquerait d’un de ses organes essentiels, qui est peut être nécessaire pour le perfectionnement moral des individus, vrai but de la société. Mais, a l’origine, un autre grand intérêt moral de la société humaine se trouvait en conflit avec cette séparation, nécessaire en règle générale, des relations fraternelles et conjugales. Il fallait, pour l’unité du genre humain, que ces hommes se reconnussent tous comme frères et descendants des mêmes aïeux.

La loi naturelle qui défend l’inceste, fondée sur le principe général de l’adaptation de la société aux besoins moraux de l’homme, a du fléchir pour se relever plus tard dans toute sa force devant une autre application du même principe. Ainsi, à l’origine morale religieuse et sociale à la fois, reliant les hommes entre eux par les liens d’une famille monogame, et rattachant l’homme à son Créateur par le devoir de la foi, de l’adoration et de l’obéissance morale ayant sa sanction dans la vie future. À l’origine également, le père de famille cumule divers pouvoirs qui se sépareront plus tard. Il a l’autorité paternelle, mais il possède aussi l’autorité sociale suprême, puisque la société se réduit à une famille unique. Il est donc roi et père. Enfin, étant l’intermédiaire entre Dieu et ses enfants, il est aussi le premier prêtre. Telle est, selon cette hypothèse, pour quiconque croit en un Dieu juste et bon, la plus vraisemblable de toutes, la première origine des sociétés humaines, le premier germe de la morale, de la religion et des lois civiles. Voyons maintenant comment cet embryon a dû se développer.

Supposons d’abord que le développement de cette société primitive se soit fait d’une manière parfaite et idéale, sans accident, sans déviation causée par les circonstances extérieures ou par les écarts de la liberté. Sans doute cette hypothèse est loin d’être vraisemblable, mais je ne l’emploie que provisoirement pour tracer un idéal ; je me rapprocherai bientôt de la réalité. L’humanité se multipliant, et l’intelligence humaine étant en progrès, les organes enveloppés dans le germe primitif ont dû se séparer les uns des autres. L autorité complexe du père de famille s’est divisée. L’autorité civile, rassemblant un grand nombre de familles, s’est constituée ; les tribus, les nations, se sont distinguées les unes des autres. Le père reste roi dans son intérieur, mais au-dessus de lui s’établit une autorité qui est supérieure sur certains points à la sienne, mais qui n’a pas le droit de l’absorber. Plus tard, les fonctions de prêtre, qui