Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/176

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j’entendais claquer un fouet dans la cour de notre modeste logis, je m’attendais à le voir entrer ; je lui faisais préparer un lit, pour qu’il se reposât quelques heures, un bon déjeuner pour qu’il reprît des forces ; puis je recevais ses confidences ; il me racontait les tracasseries de la capitale, et, comme le lépreux de M. de Maistre, lorsque les enfants lui criaient : « Bonjour lépreux ! » en passant au pied de son donjon, cela me réjouissait un peu.

Je ne m’ennuyais pas trop toutefois. J’avais des ressources. Si l’Université de Valladolid était déserte, elle possédait une fort belle bibliothèque. On y trouvait, non seulement les classiques espagnols, mais les classiques grecs et latins et presque tous les bons ouvrages français du xviie et même du xviiie siècle. On me prêtait volontiers tous les livres que je demandais. Or, dès l’année précédente, je m’étais pour tout de bon remis à l’étude ; j’entends par là ce plaisir libre et désintéressé d’apprendre pour apprendre, de savoir pour savoir, d’exercer son esprit, sans autre but que d’en entretenir et d’en fortifier l’activité.

Ç’avait été de bonne heure mon goût favori. La dissipation, les affaires, l’avaient un peu amorti ; mais il m’avait repris de plus belle, à dater d’une