Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fort petite circonstance qui fait époque dans ma vie. Partant pour la Croatie, j’avais acheté à Trieste un exemplaire dépareillé que j’ai encore des œuvres mêlées de Gibbon. J’en feuilletai pendant mon voyage, le troisième volume intitulé : Extraits raisonnés de mes lectures. Gibbon, retiré à Lausanne, et mettant la dernière main à son grand ouvrage, inscrivait chaque soir sur un cahier les études de la journée et les réflexions que ses lectures lui suggéraient. Ce journal m’enchanta. Je me pris de passion pour cet exemplaire d’une vie calme, réglée, uniquement préoccupée de travaux intellectuels. Je me mis en tête que rien ne pouvait être ni plus beau ni plus doux ; j’en fis le but même de mon existence, en me proposant d’y viser toujours. Je commençai, dès mon arrivée à Pétrinia, un journal que j’intitulai, comme le journal de Gibbon, Extraits raisonnés de mes lectures, et que j’ai poursuivi pendant tout mon séjour, tant en Illyrie qu’en Espagne. On le trouvera dans mes papiers, et, si le cours des événements m’a bientôt forcé de l’interrompre, il n’a rien changé au cours de mes pensées et de mes penchants.

Le goût m’est resté. Je lui dois beaucoup. Je lui