Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/217

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à découvert, bravant la rigueur de la saison. Elle était telle, que deux bouteilles de rhum dont la bonne madame Otto avait enrichi mon équipage, en les entourant de fourrures, gelèrent comme de l’eau claire. Quand j’arrivai à Cracovie, véritablement j’étais transi ; le soleil dardait des glaçons ; mais, là, j’eus une idée sublime, une idée égale en simplicité, en portée, en profondeur, à l’œuf de Christophe Colomb et à la brouette de Pascal ; je la consigne ici pour ma gloire ; si jamais d’autres que moi la mettent en pratique, mon nom ne périra point.

J’achetai une petite charrette, couverte en simple toile ; je la fis placer sur un traîneau ; comme elle était tout à fait terre à terre, elle ne courait aucun risque de verser. Je la fis remplir de foin jusqu’au haut ; je m’y logeai jusqu’au cou, à peu près comme on enterrait les vestales coupables ; et dès lors, je n’éprouvai plus le moindre froid ; tout au contraire, mes pieds et mes jambes contractés commençant à se détendre, et la circulation s’y rétablissant, j’éprouvai cruellement cette douleur que les enfants connaissent bien et que les bonnes nomment l’onglée.

À mi-chemin de Varsovie, comme je sortais de