Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/301

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maison de campagne qui appartenait alors à madame de Catellan. La nuit était noire, le temps à l’orage, le ciel sillonné d’éclairs, le tonnerre grondait dans le lointain ; le galop des chevaux et le bruit des roues y répondaient à qui mieux mieux ; et les étincelles jaillissaient à profusion du pavé. Ce fut ce moment que Benjamin Constant choisit ou saisit pour nous faire la singulière confidence des efforts qu’il avait tentés et tentés inutilement, Dieu merci, dans le dessein d’entrer en marché avec l’ennemi du genre humain. Il entendait un peu se moquer de nous, sans doute, mais il se moquait au fond de lui-même et ne s’en moquait que du bout des lèvres ; son front était pâle, un sourire sardonique errait sur son visage ; il commença sur ce ton de raillerie amère qui lui était familier : peu à peu le sérieux prit le dessus et, à mesure qu’il nous expliquait les simagrées auxquelles il s’était soumis, ses expériences conçues et déçues, son récit devenait si expressif et si poignant, qu’à l’instant où il le termina, ni lui ni aucun de nous n’étaient tentés de rire : il tomba et nous aussi, je le confesse, en toute humilité dans une rêverie pénible et pleine d’angoisse. Nous rentrâmes dans Paris sans nous être dit un seul mot.