Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/376

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d’aisance et de nonchalance que M. de Talleyrand. Sa conversation était lourde, fatigante à force de paradoxes, assaisonnée de plaisanteries impies, fort usées dans la langue de Voltaire, et de lieux communs d’un libéralisme vulgaire. Madame de Staël, qui tirait parti de tout le monde, s’évertuait à le mettre en valeur sans y réussir ; en tout, le moment de la curiosité passé, sa société n’était pas attrayante, et personne ne le voyait arriver avec plaisir.

M. de Stein, qui ne fit que traverser la Suisse, se rendant en Italie, était un Allemand de grande taille, de forte et robuste corpulence, haut en couleur, l’œil vif, la parole dure et saccadée. Son regard, son langage respiraient l’indignation contre les souverains allemands petits ou grands qui prétendaient rétablir, après la victoire, le pouvoir absolu, manquer à leur parole, trahir les promesses faites à leurs peuples, et recueillir seuls les fruits d’une lutte qu’ils n’avaient ni commencée ni soutenue. Il s’exprimait avec le dernier mépris sur son propre souverain, sur la cour de Prusse, la bureaucratie allemande. Tout était perdu, disait-il, après avoir été regagné au prix de torrents de sang. L’homme de bien qui avait exposé cent fois sa vie,