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Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/88

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posée sur le rideau ; mais je préférais parler avant de le tirer, car j’avais peur de ne trouver qu’un cadavre.

« Hélène, murmurai-je doucement, êtes-vous éveillée ? »

Elle se souleva, écarta le rideau, et je vis sa figure pâle, amaigrie, mais parfaitement calme. Elle me parut si peu changée que mes craintes cessèrent immédiatement.

« Est-ce bien vous, Jane ? me demanda-t-elle de sa douce voix.

— Oh ! pensai-je, elle ne va pas mourir ; ils se trompent : car, s’il en était ainsi, sa parole et son regard ne seraient pas aussi calmes. »

Je m’avançai vers son petit lit, et l’embrassai. Son front, ses joues, ses mains, tout son corps enfin était froid ; mais elle souriait comme jadis.

« Pourquoi êtes-vous venue ici, Jane ? il est onze heures passées ; je les ai entendues sonner il y a quelques instants.

— J’étais venue vous voir, Hélène ; on m’avait dit que vous étiez très malade, je n’ai pas pu m’endormir avant de vous avoir parlé.

— Vous venez alors pour me dire adieu ; vous arrivez bien à temps.

— Allez-vous quelque part, Hélène ? retournez-vous dans votre demeure ?

— Oui, dans ma dernière, dans mon éternelle demeure.

— Oh non, Hélène ! »

Je m’arrêtai émue. Pendant que je cherchais à dévorer mes larmes, Hélène fut prise d’un accès de toux, et pourtant la garde ne s’éveilla pas. L’accès fini, Hélène resta quelques minutes épuisée ; puis elle murmura :

« Jane, vos petits pieds sont nus ; venez coucher avec moi, et cachez-vous sous ma couverture. »

J’obéis ; elle passa son bras autour de moi et m’attira tout près d’elle. Après un long silence elle me dit, toujours très bas :

« Je suis très heureuse, Jane. Quand on vous dira que je suis morte, croyez-le et ne vous affligez pas ; il n’y a là rien de triste : nous devons tous mourir un jour, et la maladie qui m’enlève à la terre n’est point douloureuse, elle est douce et lente ; mon esprit est en repos ; personne ici-bas ne me regrettera beaucoup. Je n’ai que mon père ; il s’est remarié dernièrement, et ma mort ne sera pas un grand vide pour lui. En mourant jeune, j’échappe à de grandes souffrances ; je n’ai pas les qualités et les talents nécessaires pour me frayer aisément une route dans le monde, et j’aurais failli sans cesse.