Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/237

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qu’il faut me laisser guider par un autre, comme un enfant dans sa faiblesse ? Il y a peu de temps, Jane, que j’ai reconnu la main de Dieu dans mon destin. Alors je commençai à sentir du remords et du repentir, à désirer de me réconcilier avec mon Créateur ; je me mis à prier quelquefois ; mes prières étaient courtes, mais sincères.

« Il y a quelque temps, quatre jours, du reste, car c’était lundi soir, je me trouvais dans une singulière disposition : l’égarement avait fait place à la douleur, l’obstination à la tristesse ; depuis longtemps je me disais que, puisque je ne pouvais pas vous trouver, vous deviez être morte. Ce soir-là, entre onze heures et minuit, avant de me laisser aller à mon triste sommeil, je suppliai Dieu de me retirer de ce monde et de m’admettre dans cette éternité où j’avais encore espoir de rejoindre Jane.

« J’étais dans ma chambre, assis près de la fenêtre ouverte : j’aimais à sentir l’air embaumé de la nuit, bien que je ne pusse voir aucune étoile, et que la présence de la lune ne se révélât pour moi que par une vague lueur. J’aspirais vers toi, Jane ; j’aspirais par mon corps et par mon âme. Je demandais à Dieu, avec un cœur humilié et angoissé, si je n’avais pas été assez longtemps désolé, affligé et tourmenté, et si je ne pourrais pas une fois encore goûter au bonheur et à la paix. J’avouais que tout ce que j’endurais était bien mérité, mais je disais aussi que j’aurais peine à supporter plus longtemps cette torture. Malgré moi, mes lèvres exprimèrent les désirs de mon cœur, et je m’écriai : « Jane ! Jane ! Jane ! »

— Avez-vous prononcé ces paroles tout haut ?

— Oui, Jane ; et si quelqu’un m’avait entendu, il m’aurait cru fou, car je les prononçai avec une énergie égarée.

— Vous dites que c’était lundi dernier, vers minuit ?

— Oui ; mais peu importe le jour. Écoutez, voilà le plus étrange : vous allez me croire superstitieux. Il est certain que j’ai toujours eu un peu de superstition dans le sang. N’importe, ce que je vais vous dire est vrai ; du moins il est vrai que j’ai cru entendre ce que je vais vous raconter. Au moment où je m’écriai : « Jane ! Jane ! Jane ! » une voix, je ne puis dire d’où elle venait, mais je sais bien à qui elle appartenait, me répondit : « Je viens ; attendez-moi. » Et, un moment après, j’entendis murmurer dans l’air : « Où êtes-vous ? »

« Je vais vous dire, si je le puis, l’effet que me produisirent ces mots ; mais c’est difficile à exprimer. Vous voyez que Ferndean est enseveli dans un bois épais où viennent s’éteindre tous