Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/69

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à ce que l’événement que vous m’avez raconté eût excité vos nerfs. Je préfère que vous ne couchiez pas seule ; promettez-moi d’aller dans la chambre d’Adèle.

— J’en serai même très contente, monsieur.

— Fermez bien votre porte en dedans. Quand vous monterez, dites à Sophie de vous éveiller de bonne heure ; car il faut que vous soyez habillée et que vous ayez déjeuné avant huit heures. Et maintenant, plus de sombres pensées ; chassez les tristes souvenirs, Jane. Entendez-vous comme le vent est tombé ? ce n’est plus qu’un petit murmure ; la pluie a cessé de battre contre les fenêtres. Regardez, dit-il en soulevant le rideau, voilà une belle nuit. »

Il disait vrai : la moitié du ciel était entièrement pure ; le vent d’ouest soufflait, et les nuages fuyaient vers l’est en longues colonnes argentées ; la lune brillait paisiblement.

« Eh bien ! me dit M. Rochester en interrogeant mes yeux, comment se porte ma petite Jane, maintenant ?

— La nuit est sereine, monsieur, et je le suis également.

— Et cette nuit vous ne rêverez pas séparation et chagrin, mais vos songes vous montreront un amour heureux et une union bénie. »

La prédiction ne fut qu’à moitié accomplie : je ne fis pas de rêves douloureux, mais je n’eus pas non plus de songes joyeux ; car je ne dormis pas du tout. La petite Adèle dans mes bras, je contemplai le sommeil de l’enfance, si tranquille, si innocent, si peu troublé par les passions, et j’attendis ainsi le jour ; tout ce que j’avais de vie s’agitait en moi. Aussitôt que le soleil se leva, je sortis de mon lit. Je me rappelle qu’Adèle se serra contre moi au moment où je la quittai ; je l’embrassai et je dégageai mon cou de sa petite main ; je me mis à pleurer, émue par une étrange émotion, et je quittai Adèle, de crainte de troubler par mes sanglots son repos doux et profond. Elle semblait être l’emblème de ma vie passée, et celui au-devant duquel j’allais bientôt me rendre, le type redouté, mais adoré, de ma vie future et inconnue.