Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/85

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de Grimsby-Retreat, pour lui tenir compagnie et l’aider lorsque ma femme sera excitée par ses esprits familiers à brûler les gens dans leur lit, à les frapper, à leur arracher la chair de dessus les os, et ainsi de suite.

— Monsieur, interrompis-je, vous êtes inexorable pour cette malheureuse femme ; vous parlez d’elle avec une antipathie vindicative et une haine furieuse : c’est cruel à vous ; elle n’est pas responsable de sa folie.

— Ma chère petite Jane (laissez-moi vous appeler ainsi, car vous êtes ma bien-aimée), vous ne savez pas de qui vous parlez, et voilà que vous me jugez encore mal. Ce n’est pas parce qu’elle est folle que je la hais ; si vous étiez folle, croyez-vous que je vous haïrais ?

— Je le crois, en vérité, monsieur.

— Alors, vous vous trompez ; vous ne me connaissez pas, et vous ignorez de quel amour je suis capable ; chaque partie de votre chair m’est aussi précieuse que la mienne ; dans la souffrance et la maladie, je l’aimerais encore ; votre esprit est mon trésor, et même brisé, il serait toujours mon trésor. Si vous étiez folle, vous trouveriez pour vous retenir mes bras, au lieu d’une camisole de forces ; quand même vos étreintes seraient furieuses, elles auraient encore du charme pour moi ; si vous vous jetiez sur moi, comme cette femme l’a fait hier, tout en cherchant à vous dominer, je vous recevrais dans un embrassement plein de tendresse. Lorsque vous seriez calme, vous n’auriez pas d’autre garde que moi ; je saurais vous veiller avec une infatigable tendresse, bien que vous ne pussiez me récompenser par aucun sourire ; je ne me lasserais pas de regarder vos yeux, quand même ils ne me reconnaîtraient plus. Mais pourquoi songer à cela ? Je parlais de quitter Thornfield ; vous le savez, tout est prêt pour le départ ; demain vous partirez. Je ne vous demande que de passer encore une nuit sous ce toit, Jane, et alors, adieu pour toujours à ses misères et à ses terreurs ; j’ai un endroit qui sera un sanctuaire sûr contre les douloureux souvenirs, les indiscrets malencontreux, et même le mensonge et la calomnie.

— Prenez Adèle avec vous, monsieur, interrompis-je ; elle vous tiendra compagnie.

— Que voulez-vous dire, Jane ? Ne vous ai-je pas déclaré qu’Adèle irait en pension ? et qu’ai-je besoin d’un enfant pour me tenir compagnie, d’un enfant qui n’est pas le mien, mais bien le bâtard d’une danseuse française ? Pourquoi m’importuner d’elle ? pourquoi, je vous le demande, voulez-vous me donner Adèle pour compagne ?