Page:Brontë - Le Professeur.djvu/14

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qu’elle avait commencée, et, feignant de lui en vouloir de ce qu’il avait fait atteler un cheval peureux à son gig, elle se montrait surtout blessée du mépris qu’il faisait de ses terreurs.

« N’est-ce pas absurde de la part d’Édouard, monsieur William ? me dit-elle en me prenant à témoin ; il ne veut plus se servir que de Jack, et cette affreuse bête l’a déjà fait verser deux fois. »

Elle zézayait en parlant, ce qui n’était pas désagréable, et avait dans l’expression du visage, en dépit de ses traits prononcés, quelque chose d’enfantin qui sans aucun doute plaisait beaucoup à Edouard, et qui, aux yeux de la plupart des hommes, eût passé pour un charme de plus, mais qui pour moi n’avait aucun attrait. Je cherchai à rencontrer son regard, désireux d’y trouver l’intelligence que ne me révélait ni son visage ni sa conversation ; elle avait l’œil petit et brillant ; je vis tour à tour la coquetterie, la vanité et l’enjouement percer à travers sa prunelle, mais j’attendis vainement un seul rayon qui vînt de l’âme. Je ne suis pas un Turc ; une peau blanche, des lèvres de carmin, des joues rondes et fraîches, des grappes de cheveux luxuriantes, ne me suffisent pas, si elles ne sont accompagnées de l’étincelle divine qui survit aux roses et aux lis, et qui brille encore après que les cheveux noirs ont blanchi ; les fleurs resplendissent au soleil et nous plaisent dans la prospérité ; mais que de jours pluvieux dans la vie, et combien le ménage de l’homme, combien son foyer même serait triste et glacé, sans la flamme de l’intelligence qui l’anime et le vivifie !

Un soupir involontaire annonça le désappointement que me laissait l’examen des traits de ma belle-sœur ; elle le prit pour un hommage, et M. Crimsworth, qui était évidemment fier de sa jeune et belle épouse, me jeta un regard où un mépris ridicule se mêlait à la