Page:Brontë - Le Professeur.djvu/286

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avions besoin pour retremper nos forces et rafraîchir notre esprit. Nous les passions quelquefois à causer ; et, maintenant que ma jeune Suissesse aimait trop son professeur d’anglais pour le craindre, il lui suffisait de penser tout haut et d’épancher son cœur pour que la conversation fût aussi animée qu’intarissable. Heureux alors comme deux oiseaux sous la feuillée, elle me montrait les trésors de verve joyeuse et d’originalité que renfermait sa nature. Parfois, laissant jaillir la malice que recouvrait l’enthousiasme, elle raillait, la méchante, et me reprochait ce qu’elle appelait mes bizarreries anglaises, du ton incisif et piquant d’un démon qui badine en ses heures de gaieté. Toutefois ces accès de lutinerie étaient rares ; et si, entraîné moi-même à cette guerre de paroles où elle maniait si bien la finesse et l’ironie de la langue française, je me retournais vivement pour prendre corps à corps l’ennemi qui m’attaquait, vaine entreprise ! je n’avais pas saisi le bras du lutin qu’il avait disparu ; l’éclair provocateur avait fait place à un regard plein de tendresse qui rayonnait doucement sous des paupières demi-closes ; j’avais cru m’emparer d’une fée maligne, et je trouvais dans mes bras une petite femme soumise et suppliante. Je lui ordonnais alors d’aller prendre un livre anglais et de me faire la lecture au moins pendant une heure : c’était presque toujours du Wordsworth que je lui imposais pour la punir, ce qui la calmait immédiatement. Elle éprouvait quelques difficultés à comprendre ce langage sobre et profond qui la forçait à réfléchir ; il lui fallait alors me questionner, solliciter mon secours et m’avouer de nouveau pour son seigneur et maître. Son instinct s’emparait plus vite et se pénétrait mieux du sens des auteurs plus ardents. Elle aimait Walter Scott ; Byron la passionnait ; Wordsworth l’étonnait ; elle hésitait à se former une opinion sur lui.