Page:Brontë - Le Professeur.djvu/300

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son large front un baiser plein de tendresse et d’orgueil, et il partit consolé.

Le lendemain matin, je l’aperçus à l’endroit où l’on avait enterré le pauvre Yorke ; ses mains couvraient sa figure, et je crus voir qu’il pleurait ; il fut triste pendant longtemps, et plus d’une année s’écoula avant qu’on pût lui parler d’avoir un autre chien.

Il nous quittera bien tôt pour aller à Eton, où je crains bien qu’il ne passe la première année dans une profonde tristesse ; la séparation brisera son cœur et l’absence le fera longtemps souffrir. Ce ne sera pas un piocheur ; mais l’émulation, le besoin d’apprendre, la gloire du succès, l’entraîneront, et il finira par travailler. Quant à moi, j’éprouve une forte répugnance à fixer l’heure qui m’arrachera mon seul rejeton pour le transplanter au loin ; lorsque j’en parle à Frances, elle m’écoute en silence, comme s’il s’agissait de quelque opération terrible qui la fait frissonner, et qui exigera tout son courage. Avant peu cependant, il faudra prendre cette détermination douloureuse, et je le ferai sans hésiter : car, bien que Frances ne veuille pas, comme le dit Hunsden, faire de son fils une poule mouillée, elle l’accoutume à une indulgence et à une tendresse qu’il ne retrouverait chez personne et qui lui manqueraient un jour. Elle voit d’ailleurs comme moi, dans le caractère de Victor, une ardeur concentrée qui se révèle de temps à autre par de sinistres éclairs. Hunsden prétend que c’est un rayon du feu céleste qu’il serait coupable d’étouffer ; j’y reconnais au contraire la fermentation du levain qui causa la chute d’Adam, et qu’il faut sinon réprimer à coups de fouet, du moins diriger avec sollicitude, afin d’en tirer une force qui lui soit utile dans la vie.

La souffrance physique ou morale sera peu de chose à mes yeux, si elle peut lui donner l’énergie nécessaire