Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/129

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abattements. Le retour de la gaieté chez elle ramenait aussi chez lui la gaieté. Je crois pouvoir affirmer qu’ils étaient vraiment en possession d’un bonheur tous les jours plus profond.

Ce bonheur eut une fin. Voyez-vous, il faut bien qu’à la longue nous pensions un peu à nous-mêmes ; l’égoïsme des natures tendres et généreuses est seulement plus justifié que celui des natures altières. Leur bonheur cessa donc quand les circonstances leur firent sentir à chacun que l’intérêt de l’un n’était pas l’objet principal des pensées de l’autre. Par une lourde soirée de septembre, je rentrais du jardin avec un lourd panier de pommes que je venais de cueillir. La nuit venait, la lune brillait par-dessus le mur élevé de la cour, elle donnait naissance à des ombres vagues qui semblaient tapies dans les angles formés par les nombreuses saillies de la maison. Je posai mon fardeau sur les marches près de la porte de la cuisine, pour m’accorder quelques instants de repos et respirer encore quelques bouffées de cet air tiède et embaumé. Je regardais la lune, le dos tourné à l’entrée, quand j’entendis derrière moi une voix qui disait :

— Nelly, est-ce vous ?

C’était une voix grave, d’un accent étranger ; pourtant il y avait dans la manière de prononcer mon nom un je ne sais quoi qui sonnait familièrement à mon oreille. Je me retournai, non sans frayeur, pour découvrir qui avait parlé ; car les portes étaient fermées et je n’avais vu personne en approchant des marches. Quelque chose remua sous le porche ; je m’avançai et distinguai un homme de haute taille, avec des vêtements foncés, la figure et les cheveux bruns. Il était appuyé contre la paroi et tenait les doigts sur le loquet, comme s’il se préparait à ouvrir lui-même. « Qui cela