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Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/134

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duquel mon maître paraissait grêle et avait l’air d’un adolescent. Sa façon de se tenir droit suggérait l’idée qu’il avait été dans l’armée. L’expression et la décision de ses traits lui composaient un visage plus vieux que celui de Mr Linton, et qui respirait l’intelligence sans conserver trace de sa dégradation passée. Pourtant, sous ses sourcils abaissés et dans ses yeux pleins d’un feu sombre se dissimulait une férocité à demi sauvage, mais maîtrisée. Ses manières étaient même dignes, tout à fait dépourvues de rudesse, bien que trop sévères pour être gracieuses. La surprise de mon maître égala ou dépassa la mienne. Il resta une minute à se demander comment il s’adresserait au garçon de charrue, comme il l’appelait. Heathcliff lâcha sa main délicate et le regarda froidement jusqu’à ce qu’il se décidât à parler.

— Asseyez-vous, monsieur, dit-il enfin. Mrs Linton, en souvenir du temps jadis, a désiré que je vous fisse un accueil cordial ; et naturellement je suis heureux de tout ce qui peut lui être agréable.

— Et moi aussi, répondit Heathcliff, particulièrement si c’est quelque chose où j’ai une part. Je resterai volontiers une heure ou deux.

Il s’assit en face de Catherine, qui tenait les yeux fixes sur lui ; elle semblait craindre qu’il ne disparût si elle les détournait un instant. Lui ne leva pas souvent les yeux sur elle. Un rapide regard de temps à autre suffisait ; mais ce regard reflétait, chaque fois avec plus d’assurance, le délice dissimulé qu’il buvait dans le sien. Ils étaient trop absorbés dans leur joie mutuelle pour se sentir embarrassés. Il n’en était pas de même de Mr Edgar : il pâlissait de contrariété. Ce sentiment atteignit le comble quand sa femme se leva et, s’approchant de Heathcliff, lui saisit de nouveau les mains, en riant d’un air égaré.