Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/155

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pour nous un grand soulagement. Heathcliff n’avait pas l’habitude de prodiguer à Miss Linton une seule politesse inutile, je le savais. Cette fois, dès qu’il l’aperçut, sa première précaution fut d’inspecter du regard la façade de la maison. Je me tenais près de la fenêtre de la cuisine, mais je me reculai pour n’être pas vue. Il franchit les pavés, s’approcha d’elle et lui dit quelque chose. Elle parut embarrassée et désireuse de s’en aller ; pour l’en empêcher, il lui posa la main sur le bras. Elle détourna le visage : il lui adressait apparemment une question à laquelle elle ne voulait pas répondre. Il lança rapidement un nouveau regard sur la maison et, pensant que personne ne le voyait, le gredin eut l’impudence de l’embrasser.

— Judas ! traître ! m’écriai-je. Vous êtes un hypocrite, par-dessus le marché, hein ? un cynique imposteur !

— Qui est-ce, Nelly ? dit Catherine à côté de moi. J’avais été si attentive à épier le couple dehors que je n’avais pas remarqué son entrée.

— Votre indigne ami ! répondis-je avec chaleur ; le vil gredin qui est là-bas. Ah ! il nous a aperçues… il vient ! Je me demande s’il aura le cœur de trouver une excuse plausible pour faire la cour à Miss, après vous avoir dit qu’il la haïssait.

Mrs Linton vit Isabelle se dégager et s’enfuir dans le jardin ; une minute après, Heathcliff ouvrait la porte. Je ne pus m’empêcher de donner cours à mon indignation ; mais Catherine m’imposa silence avec colère et menaça de m’expulser de la cuisine si j’osais être assez présomptueuse pour faire intervenir mon insolente langue.

— À vous entendre, on croirait que c’est vous qui êtes la maîtresse, s’écria-t-elle. Tenez-vous donc à votre