Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/168

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comme elle avait épuisé l’eau de sa cruche et de sa carafe, elle en demanda d’autre, ainsi qu’un bol de gruau, car elle se jugeait mourante. Je considérai ces propos comme destinés aux oreilles d’Edgar. Je n’en croyais pas un mot, de sorte que je les gardai pour moi et lui apportai un peu de thé et de pain grillé. Elle mangea et but avec avidité, puis retomba sur son oreiller, les poings serrés et en gémissant.

— Oh ! je veux mourir, s’écria-t-elle, puisque personne ne s’intéresse à moi. Je regrette d’avoir pris cela.

Un bon moment après, je l’entendis murmurer :

— Non, je ne veux pas mourir… il en serait heureux… il ne m’aime pas du tout… je ne lui manquerais pas !

— Désirez-vous quelque chose ? madame, demandai-je, conservant toujours mon calme apparent en dépit de son aspect de spectre et de l’étrange exagération de ses manières.

— Que fait cet être apathique ? demanda-t-elle en repoussant de son visage épuisé les épaisses boucles emmêlées. Est-il tombé en léthargie, ou est-il mort ?

— Ni l’un ni l’autre, répliquai-je, si c’est de Mr Linton que vous voulez parler. Il se porte assez bien, je pense, encore que ses études l’occupent plus qu’il ne faudrait. Il est continuellement au milieu de ses livres, depuis qu’il n’a plus d’autre société.

Je n’aurais pas parlé de la sorte si j’avais connu son véritable état ; mais je ne pouvais me défaire de l’idée que sa maladie était en partie jouée.

— Au milieu de ses livres ! s’écria-t-elle, stupéfaite. Et moi qui suis mourante ! Moi qui suis au bord de la tombe ! Mon Dieu ! Sait-il comme je suis changée, continua-t-elle en regardant son image dans une glace suspendue au mur en face d’elle. Est-ce là Catherine Linton ? Il s’imagine que j’ai un accès de dépit, que je joue