Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/174

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irritée et que je me suis enfuie désespérée dans cette chambre. Dès que j’eus verrouillé la porte, l’obscurité complète m’accabla et je tombai sur le plancher. Je n’avais pas pu expliquer à Edgar que j’étais bien certaine d’avoir une attaque, ou de devenir folle furieuse, s’il persistait à m’agacer. Je n’avais plus d’action sur ma langue ni sur mon cerveau, et peut-être ne se doutait-il pas de mon agonie : il me restait à peine assez de sentiment pour essayer de lui échapper, à lui et à sa voix. Avant que je fusse suffisamment remise pour voir et pour entendre, le jour commença de poindre et, Nelly, je vais vous dire ce que je pensais et ce qui m’obsédait sans relâche au point que je craignais pour ma raison. Tandis que j’étais étendue là, la tête contre ce pied de table, mes yeux discernant vaguement le carré gris de la fenêtre, je pensais que j’étais chez moi, enfermée dans le lit aux panneaux de chêne, mon cœur souffrait de quelque grand chagrin, que je n’ai pu me rappeler en me réveillant. Je réfléchis et m’épuisai à découvrir ce que ce pouvait être : chose surprenante, les sept dernières années de ma vie étaient effacées de mon esprit ! Je ne me souvenais pas qu’elles eussent seulement existé. J’étais enfant, mon père venait d’être enterré et mon chagrin provenait de la séparation ordonnée par Hindley entre Heathcliff et moi. Pour la première fois j’étais seule ; et, sortant d’un pénible assoupissement après une nuit de larmes, je levai la main pour écarter les panneaux : ma main frappa le dessus de cette table ! Je la passai sur le tapis, et alors la mémoire me revint tout d’un coup : mon angoisse récente fut noyée dans un paroxysme de désespoir. Je ne saurais dire pourquoi je me sentais si profondément misérable ; j’ai dû être prise d’une folie passagère, car je ne vois guère de raison. Mais supposez qu’