Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/175

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à douze ans j’aie été arrachée des Hauts, de mes liens d’enfance et de ce qui était tout pour moi, comme Heathcliff l’était alors, pour être transformée subitement en Mrs Linton, la maîtresse de Thrushcross Grange et la femme d’un étranger ; proscrite, exilée par conséquent, de ce qui avait été mon univers… vous pouvez vous faire une idée de l’abîme où j’étais plongée ! Vous aurez beau secouer la tête, Nelly, vous avez aidé à me déranger la cervelle. Vous auriez dû parler à Edgar, certainement vous l’auriez dû, et l’obliger de me laisser tranquille. Oh ! je suis brûlante ! Je voudrais être dehors ! Je voudrais me retrouver petite fille, à demi sauvage, intrépide et libre ; riant des injures au lieu de m’en affoler ! Pourquoi suis-je si changée ? Pourquoi quelques mots font-ils bouillonner mon sang avec une violence infernale ? Je suis sûre que je redeviendrais moi-même si je me retrouvais dans la bruyère sur ces collines. Rouvrez la fenêtre toute grande ; laissez-là ouverte ! Vite, pourquoi ne bougez-vous pas ?

— Parce que je ne veux pas vous faire périr de froid.

— Dites plutôt que vous ne voulez pas me donner une chance de vivre, reprit-elle d’un air morne. Mais, après tout, je ne suis pas encore impotente ; je l’ouvrirai moi-même.

Et, se glissant hors de son lit avant que je pusse l’en empêcher, elle traversa la chambre à pas très incertains, rejeta en arrière les battants de la fenêtre et se pencha dehors, sans souci de l’air glacial qui tombait sur ses épaules comme une lame de couteau. Je la suppliai de se retirer et, à la fin, j’essayai de l’y contraindre. Mais je reconnus bientôt que la force que lui donnait le délire surpassait de beaucoup la mienne (elle avait le délire, je m’en convainquis par la suite de ses actes et de ses divagations). Il n’y avait pas de lune et en bas tout était